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«Les frontaliers ont aussi leur mot à dire»


L’ancien maire de Metz et président de l’association «Au-delà des frontières» livre les revendications des transfrontaliers à l’occasion des élections législatives.

Début septembre, vous avez adressé une lettre ouverte aux candidats des élections législatives luxembourgeoises dans laquelle vous abordez la problématique des travailleurs frontaliers. Pourquoi ? 

Dominique Gros : Les élections législatives prennent souvent pour sujet les questions relatives à la vie des Luxembourgeois. Mais la problématique des transfrontaliers est importante également. Ils ont aussi leur mot à dire. Près de la moitié des actifs luxembourgeois traversent la frontière tous les jours pour aller travailler. Ils constituent ainsi une bonne partie de la richesse créée au Luxembourg. D’autant plus qu’aujourd’hui, le Grand-Duché est devenu un État dont les limites économiques et sociales dépassent les frontières. Mais c’est aussi un pays paradoxal où le nombre d’électeurs actifs correspond à une partie relativement faible de la population (…). Ne pas les prendre en compte est un danger et une façon biaisée de considérer l’intérêt général.

La thématique des frontaliers que vous jugez primordiale est-elle suffisamment abordée dans le débat politique pour ces législatives ?

À mon goût, elle est un peu trop laissée de côté. Il n’empêche que j’ai constaté à travers les colloques auxquels j’ai participé et les témoignages des membres de l’association que je préside que beaucoup de responsables politiques se préoccupent de la situation. Je regarde avec soin ce que dit la fondation IDEA. Les réflexions portent largement sur le transfrontalier. Tout le monde sait que le Luxembourg a connu un développement extraordinaire grâce à la mobilisation de personnes situées au-delà des frontières. On sait que l’on ne pourra pas refaire l’opération une deuxième fois. D’autant plus que ces populations sont en déclin démographique. Quand je vois les déclarations d’un Claude Turmes ou d’un Franz Fayot sur comment il faut penser le Luxembourg au-delà du pays et la façon dont on peut partager la croissance luxembourgeoise, je suis finalement assez heureux que nos préoccupations soient aussi celles de responsables politiques.

Certaines communes proches de la frontière luxembourgeoise sont devenues de vraies banlieues ou villes-dortoirs qui accueillent de nombreux frontaliers français et luxembourgeois. Une situation sans conséquences pour ces collectivités ?  

Ce que l’on constate avec le grand nombre de frontaliers exerçant au Luxembourg, c’est que les impôts sont payés de l’autre côté de la frontière. Il n’empêche que les charges résidentielles comme les écoles, les piscines, les crèches sont à la charge des collectivités de résidence qui parfois n’arrivent pas à y faire face. On ne peut pas accepter ces différences de chaque côté d’une frontière qui, théoriquement, selon les normes européennes, est en train de disparaître. Si on regarde par exemple les communes voisines d’Esch-sur-Alzette et de Villerupt, c’est le jour et la nuit (…). Les frontaliers sont ainsi en droit d’attendre des services publics de qualité qu’ils ne trouvent pas dans ces communes de résidence.

Face à cette situation, quelles solutions souhaitez-vous mettre en avant ?

On prend souvent le canton de Genève qui a une situation similaire à celle du Luxembourg. Depuis très longtemps, il a établi des conventions pour financer les services publics de deux départements qui abritent les transfrontaliers et cela fonctionne très bien. Ce qui n’empêche pas le canton de Genève et la Suisse d’organiser de grands projets complémentaires à parité égale, comme la mobilité. Au Luxembourg, il y a un vrai manque de projets d’intérêt commun transfrontaliers. Quelque 21 millions d’euros ont réellement été dépensés par le Grand-Duché en cinq ans pour les transfrontaliers. Ce qui correspond en moyenne à 35 euros par an et par frontalier habitant en France. C’est saisissant. Des accords ont été passés, certes, mais ils avancent très doucement, car les collectivités du côté français n’ont pas les moyens. Il faut corriger des choses sur ce point pour ne pas arriver à une situation où, d’un côté, on a des collectivités très prospères et, de l’autre, c’est la misère (…).

Partager la croissance luxembourgeoise, est-ce utopiste ou réaliste ?

C’est un projet tout à fait possible. On le fait déjà en Belgique. Les collectivités locales wallonnes ne pourraient pas vivre si elles n’avaient plus droit aux 45 millions que le Luxembourg leur donne chaque année. Si on prend l’exemple du canton de Genève, près de 350 000 millions d’euros ont été octroyés aux collectivités locales françaises pour gérer la population active de Genève et les résidents de France.

Derrière cette problématique, des répercussions importantes existent parfois dans les territoires transfrontaliers, comme les pénuries pour certaines professions. 

Pendant très longtemps, on disait que travailler au Luxembourg, c’était éviter le chômage. Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts et il y a aujourd’hui beaucoup de répercussions en France. Par exemple, à Metz, on a dû fermer des lits d’hôpitaux car une part très importante d’infirmières était partie au Luxembourg. On a aussi des lignes d’autobus dont les cadences ont été réduites en raison du départ de nombreux chauffeurs de bus cet été pour le Grand-Duché. La prise de conscience des élus français est parfois difficile car on ne veut pas faire de tort à ceux qui vont travailler au Luxembourg. Mais il y a des réalités qui existent et, face à cela, il faut se parler et s’organiser tous ensemble.

Parmi les sujets qui touchent les frontaliers, il y a la question de la mobilité. Que pensez-vous de la généralisation du télétravail et de la réduction du temps de travail qui pourraient contribuer à la régler ?

Le Luxembourg a bâti toute sa prospérité sur le fait que l’on devait payer ses impôts là où l’on travaillait. Je suis allé en 2019 au Conseil de l’Europe où nous avons abordé la notion de fiscalité transfrontalière. À travers ces débats, j’ai constaté que ce pays était très attaché au fait que ses salariés payent leurs impôts dans leur lieu de travail. Alors, si on multiplie les jours de télétravail, on règle les problèmes de transport et de mobilité, mais pas la question des impôts. Là encore, c’est un sujet à prendre en compte dans les négociations à venir pour mieux répartir la fiscalité.

La mobilité, c’est aussi l’usage des transports en commun. Les investissements transfrontaliers actuels sont-ils suffisants ?

S’il y a bien un sujet qui a été abordé entre la France et le Luxembourg, c’est celui des transports en commun. Des investissements très importants ont été réalisés. Mais on part de loin. Il y a eu beaucoup de progrès du côté luxembourgeois, avec par exemple la gratuité des transports en commun. Mais, du côté français, c’est plus lent, car ce n’était pas la priorité. Aujourd’hui, on est encore loin du compte, la galère reste d’actualité car les travaux sont très longs et très coûteux.



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