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Le ministère des Armées planche sur une technologie de rupture pour la propulsion des sous-marins


Pour mener à bien ses missions, un sous-marin nucléaire doit être le plus discret possible. Seulement, malgré les innovations développées au cours de ces dernières décennies, un tel navire n’est pas encore totalement silencieux, à cause du bruit de cavitation produit par son hélice. En fonction de celui-ci, il est possible de déterminer sa signature acoustique… et donc de l’identifier [c’est d’ailleurs le travail des « oreilles d’or » du Centre d’Interprétation et de Reconnaissance Acoustique de la Marine nationale].

Pour éliminer ce bruit de cavitation, il n’y a qu’une solution : se passer d’hélice… Ce que permettrait la magnétohydrodynamique [MHD] qui, pour résumer succintement, s’interesse aux écoulements de fluides conducteurs électriques en présence d’un champ magnétique.

« Le principe de base de la propulsion MHD est simple. Il consiste à utiliser des forces électromagnétiques pour propulser des navires par réaction. Ces forces de Laplace sont issues de l’interaction entre un champ magnétique, créé par des bobines supraconductrices et des courants électriques circulant dans l’eau de mer. Ainsi, l’énergie électrique, fournie par des groupes électrogènes embarqués à bord, est directement transformée en énergie mécanique [travail des forces électromagnétiques] », explique Christophe Trophime, dans une thèse sur ce sujet.

Et le chercheur d’ajouter : « Les avantages d’un tel système de propulsion résident dans ce concept qui permet d’éliminer toutes les pièces mécaniques mobiles [hélice, arbre mécanique, etc.] et les inconvénients qui leur sont attachés [cavitation, bruit, étanchéité, etc.].

Durant la Guerre Froide, des travaux portant sur la propulsion MHD pour les navires ont été menés aux États-Unis et en Union soviétique. Les chercheurs américains Stewart Way, Warren A. Rice et O.M. Phillips en démontrèrent la faisabilité, avec des essais réalisés avec un modèle réduit de submersible [long de 3 mètres et d’une masse de 400 kg] en Californie. Seulement, leurs recherches n’allèrent pas plus loin, faute de pouvoir fabriquer des bobines pouvant produire des champs magnétiques suffisants pour passer à l’échelle. Cependant, les Soviétiques auraient poursuivi leurs efforts dans cette voie, ce qui donna d’ailleurs à l’écrivain Tom Clancy la trame de son roman « À la poursuite d’Octobre rouge« .

Cela étant, les progrès réalisés en matière de supraconductivité ont, depuis, changé la donne, avec la production désormais possible d’électro-aimants supraconduteurs pouvant produire des champs magnétiques de plusieurs teslas.

Ainsi, au début des années 1992, grâce aux recherches menées par l’Université de la marine marchande de Kobé [Japon] et avec le avec le concours de Mitsubishi Heavy Industries, de Toshiba et de Kobe Steel, la société nippone « Ship & Ocean Foundation » mit au point le Yamato 1, le démonstrateur d’un navire à propulsion électromagnétique. D’un déplacement de 280 tonnes pour une longueur de 30 mètres, celui-ci pouvait naviguer à la vitesse de 8 noeuds, grâce à un accélérateur MHD.

Cela relança l’intérêt de l’US Navy pour ce mode de propulsion, en particulier pour les sous-marins. Mais, encore une fois, la technologie n’était pas encore mûre pour envisager d’aller plus loin, les bobines nécessaires pour produire un champ magnétique suffisant étant encore trop lourdes pour de tels navires.

Cependant, en juin dernier, la DARPA, l’agence du Pentagone dédiée à l’innovation, a relancé les travaux dans ce domaine avec le projet PUMP [Principles of Undersea Magnetohydrodynamic Pumps], les propriétés des oxydes mixtes de baryum, de cuivre et de terre rare [REBCO] ayant ouvert de nouvelles perspectives.

Mais la France n’est pas en reste. En effet, dans les années 1990, et à l’instar de l’US Navy, la Marine nationale s’est intéressée à la propulsion MHD, le Laboratoire des écoulements géophysiques et industriels [LEGI, l’Institut National Polytechnique de Grenoble] ayant été chargé de mener une veille technologique dans ce domaine.

Interpellé à ce sujet par la députée [RN] Nathalie Da Conceicao Carvalho, le ministère des Armées a récemment fait part de son vif intérêt pour la propulsion MHD.

« L’évolution des performances dans le domaine de la supraconductivité sur les dix dernières années permet d’envisager la fabrication d’aimants de grandes tailles développant un champ magnétique important [jusqu’à 20 Teslas]. Dotée de tels aimants, la propulsion magnétique navale, dont la théorie est étudiée depuis les années 60, entre dans la phase des études de faisabilité avec de nombreux avantages potentiels par rapport à la propulsion classique », a d’abord rappelé le ministère dans sa réponse à la parlementaire.

Aussi, la Direction générale de l’armement [DGA] s’y intéresse de très près, avec le lancement, en 2018, d’études « numériques » menées en partenariat avec des « laboratoires spécialisés », qui, s’il ne les a pas nommés, pourraient être le LEGI, le Laboratoire d’Électrotechnique de Grenoble [LEG] pour l’étude des bobines supraconductrices, le Centre de Recherche en Électrochimie Minérale et Génie des Procédés [CREMGP] et le Laboratoire de MAgnétoDYnamique’ des Liquides et Applications à la Métallurgie, qui sont à la pointe dans ce domaine.

Toujours est-il que, selon le ministère des Armées, ces études ont « confirmé des performances globales très encourageantes », au point qu’une « feuille de route dédiée à la propulsion magnétique pour une application navale a été établie en 2022 en précisant les besoins de financements » et qu’un « premier marché a été lancé » en 2023 avec l’objectif de mener des expérimentations en laboratoires.

Il est question de lancer d’autres marchés en 2024, afin d’évaluer la « faisabilité de l’intégration d’un aimant performant à un démonstrateur » et de réaliser ensuite « des études de conception détaillée et de développement de démonstrateurs à échelle réduite ».

« Si l’application concerne d’abord la propulsion d’un sous-marin nucléaire, les investissements réalisés dans le cadre de ce projet auront des retombées dans plusieurs domaines civils comme le domaine de la fusion ou encore l’imagerie médicale [IRM] », a conclu le ministère.





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