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Le ‘Complot Bamiléké’: tout sur manipulation ethnique de Paul Biya, de troublantes révélations sortent

Dans son livre « Au Cameroun de Paul Biya », Fanny Pigeaud explore la période troublée du Cameroun à partir de la grave récession économique de 1986, où le pouvoir du régime de Paul Biya s’est senti menacé par la montée des critiques et de l’opposition. Face à cette situation, les autorités ont cherché à détourner l’attention du peuple en introduisant un débat à caractère ethnique, mettant en scène le « complot bamiléké ».

L’idée du complot a été lancée en mars 1987 lors d’un débat universitaire à Yaoundé, où l’idéologue Hubert Mono Ndjana a violemment accusé les Bamilékés d’« ethnofascisme ». Ce discours a permis de désigner les Bamilékés comme les ennemis du régime en place, tandis que les Beti, l’ethnie de Paul Biya, ont été présentés comme des victimes. Des prêtres autochtones de l’archidiocèse de Douala ont également adressé un mémorandum au Vatican, affirmant qu’il existait un plan bamiléké visant à conquérir le pouvoir, ajoutant à la tension.

Les autorités ont continué à chercher à réduire le poids économique des Bamilékés en prenant des mesures visant à limiter leur influence, ce qui a renforcé leur sentiment d’oppression et leur opposition au gouvernement. En réponse, certains membres de l’élite intellectuelle beti ont créé des milices et propagé des messages de haine à l’encontre des Bamilékés, provoquant des tensions ethniques et des actes de violence.

En manipulant les identités ethniques et en introduisant la notion d’« autochtonie » dans la Constitution révisée de 1996, le pouvoir a cherché à diviser l’opposition et à récupérer des postes municipaux gagnés par le SDF, le principal parti d’opposition.

Cependant, ces manœuvres politiques ont également renforcé l’opposition et ont conduit à une polarisation ethnique plus profonde. Au fil des années, les tensions ethniques ont persisté, entravant la stabilité politique et le développement du Cameroun.

Le « complot bamiléké »

C’est à partir de la grave récession économique, débutée en 1986, que la situation a dégénéré. Dans le contexte de crise générale, la monopolisation du pouvoir par les élites beti est apparue aux yeux de beaucoup de Camerounais flagrante et choquante, et ce d’autant plus que certaines d’entre elles semblaient impliquées dans de nombreuses malversations financières. Les critiques se sont faites de plus en plus nombreuses. Fragilisé par la crise financière le privant de revenus qui auraient pu servir à coopter certains des mécontents, le pouvoir s’est senti en danger. Cherchant à détourner l’attention des Camerounais de la crise et de ses errements et en même temps à justifier la « betisation » de l’État, il a alors introduit un débat à caractère résolument ethnique. L’offensive a été lancée en mars 1987 : lors d’un débat organisé à l’université à Yaoundé, un idéologue et chantre du « Renouveau », le professeur de philosophie Hubert Mono Ndjana, s’est violemment attaqué aux Bamiléké, les accusant d’« ethnofascisme ». L’ethnofacisme, c’est la « volonté de puissance d’une ethnie ou l’expression de son désir hégémonique qui prend soit la forme du discours théorique, soit celle d’une mêlée ouvertedans la polémique, soit celle d’une organisation systématique sous la forme d’un mercantilisme conquérant », a-t-il expliqué .

En agitant le spectre d’une conspiration des Bamiléké pour prendre le pouvoir, ce discours permettait à la fois de faire d’eux les bourreaux du régime en place et des Beti les victimes. Au cours de ce même mois de mars 1987, une cinquantaine de prêtres dits « autochtones » de l’archidiocèse de Douala ont adressé un mémorandum au Vatican pour protester contre la désignation chez eux d’un évêque auxiliaire bamiléké, Mgr Gabriel Simo. Ils soutenaient eux aussi l’idée d’un plan bamiléké visant à conquérir le pouvoir, dont « l’alliance » de « l’homme bamiléké » avec « les puissances de l’argent » constituait, selon eux, la première étape. Ils affirmaient que Mgr Ndongmo, luimême bamiléké et alors en exil, était l’instigateur de ce projet hégémonique bamiléké. Un autre texte, anonyme cette fois, prétendait aussi que le prélat encourageait les Bamiléké à « conquérir le monopole dans l’Église catholique du Cameroun », à multiplier les naissances « de sorte que entre l’an 2000 et 2020, la moitié de la population camerounaise soit bamiléké », à « être présents dans tous les milieux » .

Ces deux affaires ont évidemment fait grand bruit. « Je refuse d’être la bête noire des régimes politiques au Cameroun »,arépondu Mgr Ndongmo. « Le fait que les deux documents, issus de deux milieux différents et à des dates différentes, véhiculent les mêmes allégations, veut dire qu’il yaquelqu’un, quelque part, qui tire les ficelles… (…) À ceux qui tirent les ficelles de la division au Cameroun, je rappelle que Dieu n’est pas distrait », a-t-il ajouté .

Plusieurs écrivains et philosophes bamiléké ont aussi répliqué, mais en prenant moins de recul: ils ont publié de nombreux articles, condamnant à la fois la thèse de Mono Ndjana8 et dénonçant la marginalisation politique des Bamiléké… sans se rendre compte qu’ils faisaient ainsi le jeu du pouvoir. Involontairement ou non, la presse privée, alors représentée par trois journaux réputés proches del’opposition et appartenant à des entrepreneurs bamiléké
, a aussi donné du crédit au discours des tenants du pouvoir: en donnant abondamment la parole aux détracteurs bamiléké de Mono Ndjana, elle a conforté la thèse d’un complot bamiléké contre le régime beti. Tout en entretenant cette intense polémique, les autorités, toujours aux abois sur le plan financier, ont continué à chercher à réduire le poids économique des Bamiléké. En 1987, le ministre de l’Urbanisme et de l’Habitat Ferdinand Oyono a ordonné la suspension, pour plusieurs années, des immatriculations foncières au profit d’« allogènes » autour de Yaoundé, avec en filigrane l’objectif d’empêcher que les Bamiléké acquièrent des terrains dans la région. En 1990, la décision soudaine des autorités de démolir à Yaoundé le collège Monthé, un important établissement scolaire privé,aaussi été vue comme une tentative de limiter l’influence bamiléké, son propriétaire étant originaire de l’Ouest. Ce type d’opération a cependant eu l’effet inverse à celui recherché par le pouvoir: au lieu d’affaiblir l’opposition naissante, il l’a renforcée, de nombreux entrepreneurs bamiléké, inquiets pour leurs affaires, se tournant vers elle. Un certain nombre d’entre eux ont également retiré leur argent des banques, ce qui a contribué à provoquer la faillite de ces dernières. En outre, à l’instar d’Essingan, s’est constitué le La’akam, une association destinée à défendre les intérêts bamiléké. Les membres bamiléké du régime se sont aussi organisés pour défendre leurs postes en formant le « Cercle de réflexion et d’action pour le triomphe du Renouveau » (Cratre) . Pendant les « années de braise », le gouvernement et le RDPC ont entretenu le même climat: pour disqualifier l’opposition et ses revendications, ils ont fait dériver le débat politique vers des considérations uniquement ethniques, accusant le SDF d’être le fer de lance d’une conspiration réunissant cette fois Anglophones et Bamiléké. Le lobby Essingan a été très actif pendant toute cette période, suscitant la création de milices et poussant à la violence.

Sur le campus universitaire de Yaoundé, la milice« Autodéfense », essentiellement composée de Beti, a ainsi attaqué violemment à plusieurs reprises les membres du « Parlement », réputé proche de l’opposition. À Yaoundé, des messages appelant explicitement les Beti à chasser les Bamiléké de leur région et les Bamiléké à « rentrer chez eux » ont circulé 11 . « Peuple beti, nous les fiers guerriers de la forêt équatoriale, ensemble, levons-nous pour anéantir l’avancée impérialiste des Bamiléké car il y va de notre survie culturelle : chacun à sa place et nous sommes chez nous », disait l’un des tracts diffusés par un « Front national de libération du peuple beti » (FNLB), monté pour soutenir le pouvoir menacé de Biya. Au moment de l’élection présidentielle très disputée de 1992, les Bamiléké habitant à Yaoundé et dans des villes du Sud ont été menacés d’expulsion s’ils ne votaient pas en faveur de Biya. Et de fait, au lendemain du scrutin, des Bamiléké soupçonnés par les autochtones d’avoir voté pour « l’opposition étrangère » ont vu leurs biens pillés, leurs maisons incendiées, notamment à Sangmélima et Ébolowa (Sud), tandis qu’en retour, des Beti installés à l’Ouest étaient menacés. Des entreprises appartenant à des Bamiléké ont aussi été victimes de tentatives d’intimidation ou de redressements fiscaux injustifiés de la part des autorités. Suspectée de financer l’opposition, Saplait, une entreprise de fabrication de yaourts installée à Yaoundé,a dû fermer ses portes en 1992. Ceux parmi l’élite intellectuelle beti qui s’opposaient à l’idéologie d’Éssingan ont subi des représailles. Le théologien et sociologue Jean-Marc Éla, notamment, a reçu « des lettres dites d’avertissement émanant de l’un des responsables de l’une des milices liées au pouvoir.

I1 lui était, par exemple, reproché de publier des articles dans les journaux dits bamiléké. On lui reprochait également de refuser toute association avec le parti au pouvoir, ou de ne pas vouloir donner au gouvernement des conseils sur la meilleure manière de détruire les forces de l’opposition. Tout au long des années qui ont suivi, ces menaces se sont précisées, soit sous la forme de lettres anonymes, soit sous la forme d’intermédiaires dont la mission était de le mettre en demeure de réaffirmer ses loyautés ethniques ou d’être déclaré “traître à sa race” », selon un collectif d’intellectuels12 . Éla a luimême témoigné en 1995, peu après son départ définitif du Cameroun : « Des responsables de milices ethniques financées par le gouvernement cherchaient à paralyser mon existence depuis 1990. Aujourd’hui comme hier, ils veulent réduire au silence ceux de leurs régions qui osent s’attaquer à un régime politique dont la barbarie n’a pas seulement conduit à l’effondrement de notre économie et à la perte de notre souveraineté, mais encore se trouve être à l’origine de l’humiliation de notre pays à l’extérieur » . L’opposant et historien Abel Eyinga a été aussi victime de telles attaques: « Par ce que je suis du Sud comme le chef de l’État, avec qui j’ai été en France comme étudiant, certains pensent que je n’ai pas droit à la vie, que je suis traître. Il yaun ministre qui, se moquant de moi pour ma paralysie, a dit que ce sont eux (le pouvoir beti, ndlr) qui m’ont jeté le sort. Et qu’ils verront comment je vais encore nuire dans la province. Qu’un universitaire professeur d’université arrive à ce genre de propos (donne une idée du) niveau de putréfaction intellectuelle dans ce régime » . Au milieu des années 1990, le pouvoir est allé encore plus loin dans la manipulation des identités: il a introduit dans les lois électorales la notion implicite d’ethnie et de région. La loi du 14 août 1992, fixant les conditions d’élection des conseillers municipaux, stipule ainsi que « la composition de chaque liste doit tenir compte des différentes composantes sociologiques de la circonscription ». Quant à la loi de décembre 1991 modifiée en 1997 sur les conditions d’élection des députés, elle précise également: « La constitution de chaque liste doit tenir compte des différentes composantes sociologiques de la circonscription concernée ». Le terme « sociologique » est flou à dessein. Il a été évidemment interprété systématiquement sous l’angle ethnique. Il a permis de mettre en difficulté l’opposition : en 2002, de nombreuses listes du SDF ont été rejetées par l’administration sous prétexte qu’elles ne représentaient par la « composition sociologique » des circonscriptions en jeu. Ces lois ont aussi entraîné des conflits au sein même du SDF: à l’issue des municipales de 1996, de graves querelles internes ont déchiré le parti à propos de la mairie de Douala III qu’il venait de remporter. La tête de liste, qui était bamiléké, a dû céder sa place à un « autochtone » de Douala. Les autorités ont franchi un autre pas avec la Constitution révisée de 1996 : elles y ont fait entrer le concept « d’autochtonie ». « L’État assure la protection des minorités et préserve les droits des populations autochtones », indique le préambule du texte, adopté en janvier 1996. Ici aussi, la formulation est volontairement vague : le pouvoir se laissait une large marge de manœuvre pour pouvoir utiliser cette disposition. Il s’en est servi quelques jours seulement après sa promulgation: dès le lendemain des élections municipales du 21 janvier 1996, qui ont vu le SDF remporter le scrutin dans plusieurs villes. À Douala, notamment, le parti de Fru Ndi avait gagné quatre des cinq communes mises en jeu.

Pour récupérer le terrain perdu, le régime a organisé des marches dans la capitale économique, avec en tête des chefs sawa (groupement des ethnies du littoral), qui protestaient contre « l’hégémonie bamiléké » et demandaient la restitution des mairies aux Sawa, en invoquant la « préservation des droits des peuples autochtones », garantie par la Constitution tout juste révisée. « Nous demandons que les postes de maires reviennent aux autochtones », a déclaré un porte-parole des chefs traditionnels duala. La présence dans les cortèges de manifestants de plusieurs membres du gouvernement, comme le ministre de l’Éducation nationale Robert Mbella Mbappè ou le ministre de la Justice Douala Moutomé, n’a laissé aucun doute sur l’origine du mouvement. L’étape suivante de la stratégie déployée par les autorités a été de nommer, sous le prétexte de protéger les autochtones, des « délégués du gouvernement » de son choix (tous évidemment membres du RDPC) pour coiffer dans plusieurs municipalités les nouveaux maires SDF, dont ils ont récupéré l’essentiel des pouvoirs .

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