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Panique à Etoudi : Edgar Alain Mebe Ngo’o livre (enfin ) des noms

L’audition de l’ancien ministre de la défense Edgar Alain Mebe Ngo’o s’est achevée le 26 janvier 2022 au Tribunal Criminel Spécial (TCS) avec des graves révélations sur le ministre des finances de son époque. Le journal Kalara qui a suivi le procès revient sur les moment fort du grand oral d’ Edgar Alain Mebe Ngo’o.

Alors que les juges lui posaient des questions au terme de son interrogatoire devant le TCS, le célèbre accusé a profité de l’occasion pour réitérer que son procès ne vise qu’à l’éliminer à travers «l’instrumentalisation» du ministère public.

Le grand oral de Edgar Alain Mebe Ngo’o s’est enfin achevé devant le Tribunal criminel spécial (TCS) avec les questions des juges mercredi dernier, 26 janvier. Jusqu’au bout, l’ex-ministre délégué à la Défense (Mindef) a profité de son dernier temps de parole pour mitrailler davantage l’accusation, comme depuis huit mois, au sujet des incriminations mises à sa charge. Il soutient mordicus qu’il est victime de ce qu’il qualifie de «procès kafkaïen», de «criminalité judiciaire» menée par le parquet et le juge d’instruction, qu’il dit «instrumentalisés».

Dans ses questions, le tribunal a d’abord demandé à l’ex-ministre de faire «quelques clarifications» à propos de «l’exclusivité» qu’il avait accordée à Limousine Prestige Service, entreprise dont son épouse Bernadette est promotrice, dans l’attribution de certains marchés durant ses six ans passés à la tête du Mindef entre 2009 et 2015. Les marchés en question portaient sur la location des tentes, des chapiteaux, du matériel de cuisine. En fait, ce volet du procès concerne la supposée infraction de «prise d’intérêt dans un acte», dont la peine maximale encourue est de cinq ans de prison ferme.
En effet, lors de son audition par les différentes parties au procès, M. Mebe Ngo’o avait justifié l’«exclusivité» évoquée en parlant de «raisons sécuritaires» à cause des «menées terroristes» du Boko Haram. «Au regard de toutes les expertises que vous aviez à votre disposition, de tout ce qui se passait avant vous, fait observer le tribunal, était-il possible de procéder autrement ? Est-ce que vous n’avez pas pensez à un conflit d’intérêts en votre qualité d’ordonnateur ?»

Conflit d’intérêts

«Je voudrais dire, a réagi M. Mebe Ngo’o, que le climat sécuritaire qui avait prévalu de 2009 à 2015, pendant que j’étais aux responsabilités, était pratiquement sans précédent par rapport à cette menace. Boko Haram, qui est né au Nigéria, a fini par gagner le Cameroun. Ça a coïncidé avec ma nomination au Mindef. Est-ce que je pouvais procéder autrement, on peut toujours procéder autrement mais c’est difficile. Les mesures qui sont prises participent d’un problème de responsabilité personnelle du Mindef. S’agissant du conflit d’intérêts, je l’ai dit au moment de mon [témoignage], je n’appréhendais pas les choses sur cet angle, mon souci était de faire en sorte qu’aucun risque ne soit encouru dans l’organisation des cérémonies de service militaire. Vous avez parlé tantôt de ma qualité d’ordonnateur, ce n’est pas en cette qualité que je me suis investi, je voyais plutôt ma responsabilité dans l’organisation du service militaire. Je voudrais enfin dire que dans les opérations de sécurité, comme c’était le cas, moins il y a des intervenants, mieux ça vaut.»

Le tribunal a relancé l’accusé en insistant sur le point des expertises à sa disposition, mais l’ex-ministre a réitéré ses précédentes explications. Le tribunal s’est ensuite penché sur le matériel militaire au centre du procès. Dans ce dossier, tout part d’une ligne de crédit d’un montant d’environ 196 milliards de francs accordée par la banque publique chinoise Eximbank au Cameroun. Le 11 janvier 2011, M. Mebe Ngo’o avait signé un mémorandum d’entente avec la société d’Etat chinois Polytechnology Inc., dans lequel le Cameroun exprimait ses besoins en matériel militaire (7 hélicoptères de combats, 6 patrouilleurs marins, chars etc.). Trois mois plus tard, le 7 avril, il paraphait un contrat commercial d’une durée de 10 ans (jusqu’en 2022) avec la même société portant sur l’acquisition d’effets militaires.

Lorsque les matériels sollicités sont livrés au Cameroun, Eximbank reverse directement les fonds à hauteur du montant de la commande dans le compte de Polytechnology ouvert dans ses livres à Pékin, et la Caisse Autonome d’Amortissement (CAA) assure le remboursement de la dette sur présentation préalable des procès-verbaux de réception du matériel par le Mindef. Le problème, l’accusation considère que les 196 milliards de francs ont été détournés, motif pris de ce qu’il y a eu «diminution de quantité du matériel» entre celle exprimée dans le mémorandum d’entente et celle du contrat commercial déjà mentionné. «Comment se fait-il que malgré la diminution des quantités de matériel, on ait quand même dépensé tout le crédit», interroge le tribunal.
Pour M. Mebe Ngo’o le «détournement astronomique» qu’on lui impute «relève de l’impossibilité», car le mémorandum d’entente n’était qu’un «document indicatif» scellant la coopération entre la Chine et le Cameroun. Par contre, le «document de référence» est le contrat commercial et ses quatre avenants, car, il englobe effectivement les «besoins réels» des différents corps de l’armée étudiés par un comité d’experts camerounais composés d’agents publics émanant de diverses administrations. De plus, ajoute-t-il, c’est le matériel querellé qui constitue aujourd’hui «le cœur névralgique de notre dispositif de défense». «La CAA ne s’est plaint d’aucun braquage, indique l’ex-Mindef, il n’y a pas eu de braquage à Pékin. Le remboursement s’achève en 2022, mais moi je suis déjà accusé d’avoir détourné l’intégralité des fonds. Je le dirai en tant que de besoin, c’est pour cela qu’on me maintient en prison.»

Les juges ont enfin voulu savoir pourquoi le budget du Mindef de 2015 n’a été consommé qu’à hauteur de 82%. M. Mebe Ngo’o a expliqué, documents à l’appui, cette situation est due à la non attribution d’un marché de plus de 5 milliards de francs. L’affaire est renvoyée les 14 et 18 février prochain pour l’interrogatoire de M. Maxime Mbangue, l’un des coaccusés de l’ancien Mindef.

«Le ministre des Finances paie, mais il vient pleurer chez moi que j’ai détourné…»

Avant que le tribunal n’interroge l’ex-Mindef, son avocate, Me Koe Amougou, lui a posé une série de questions pour le pousser à faire des précisions sur ce qui a été dit pendant son témoignage. Elle lui a, entre autres, présenté une Note de Conjoncture, magazine édité chaque trimestre par la CAA, retraçant la situation de la dette intérieure et extérieure de l’Etat. Dans l’édition de mai 2016, indique l’avocate, le Cameroun avait déjà remboursé à la Chine que 51,9 milliards de francs en rapport avec la convention de crédit au centre du procès.
«Je cesse mes fonctions de Mindef le 2 octobre 2015, explique M. Mebe Ngo’o, le 31 décembre de la même année, le Cameroun était encore redevable de 144 milliards de francs [à la Chine] après avoir remboursé 51,3 milliards de francs. Ce que je veux que le tribunal retienne, c’est que je suis l’objet d’un procès kafkaïen, d’une affaire ubuesque de l’accusation qui a la finalité de m’éliminer, y compris physiquement. Il y a une criminalité judiciaire dans ce dossier parce qu’on m’accuse de ce qui n’est pas encore sorti des caisses de l’Etat. Le remboursement de la dette s’achève en 2022, mais moi j’ai déjà empoché 196 milliards de francs, ce qui n’est pas encore remboursé. Le montant remboursé est parvenu au légitime bénéficiaire. Lorsque vous annoncez aux Camerounais que Mebe Ngo’o a détourné 196 milliards de francs, vous leur demander de me couper la tête. Ils ont d’ailleurs essayé de le faire à deux reprises. Jusqu’à présent, je n’ai pas connaissance d’une enquête. Voilà comment ceux qui sont chargés de veiller au respect de la loi mettent en difficulté un citoyen qui a quand même apporté une petite pierre à ce pays.»
Me Koe Amougou aussi suscité l’avis de son client sur les cinq chefs d’accusation retenus contre lui à savoir le «détournement», la «prise d’intérêt», le «blanchiment de capitaux», la «corruption» et la «violation du code des marchés publics» présumés.

Séquestration

M. Mebe Ngo’o a réagi en faisant une longue déclaration. «Je crois avoir prouvé que j’ai exercé les fonctions de ministre délégué à la présidence chargé de la Défense en me conformant strictement aux lois et règlements de la République. Mais, de par les accusations qui me sont portées, et dont l’invraisemblance, l’iniquité et le caractère injuste sont manifestes, je me convaincs que je suis victime d’instrumentalisation, d’arbitraire. Et j’ajoute même, Mme la présidente, il m’a été donné de percevoir de la haine, de l’inhumanité et des soucis incompréhensibles de m’éliminer. Je ne reviendrais pas sur la séquestration dont mon épouse et moi-même avions été victimes avant même l’enquête préliminaire pendant un mois. Nous avions fait l’objet d’une incarcération sur la base d’une correspondance tronquée de l’Anif (Agence nationale des investigations financières, ndlr) sur laquelle je ne vais pas revenir».

Il poursuit sa réponse, concernant les accusations de détournement de deniers publics : «Je crois avoir prouvé, pièces à l’appui, que je n’ai détourné aucun denier public ni par la convention de prêt, prêt remboursé par la CAA (Caisse Autonome Amortissement, ndlr), ni par les marchés publics». L’accusé va exprimer ensuite ce qu’il appelle son incompréhension personnelle par rapport aux charges qu’on fait peser sur sa seule personne, laissant d’autres acteurs publics tranquilles. Il explique : «Le ministre des Finances est l’ordonnateur principal de l’Etat, c’est le principal gardien de la fortune publique. S’agissant de la convention de prêt, c’est lui qui ordonne le paiement du remboursement par la CAA. S’agissant des marchés publics, ce sont ses services qui jouent le rôle déterminant et décisif dans la liquidation de la dépense.

Ça veut dire que le contrôleur financier qui, par son visa budgétaire, dit que la dépense est conforme. Et la seule personne pouvant reformer les actes du contrôleur financier, c’est le ministre des Finances. Le deuxième responsable décisif et déterminant, c’est le comptable public qui paie au terme de vérification substantielle… Il y a un comité de trésorerie présidé par le directeur général du Trésor qui applique les instructions du ministre des Finances avant tout paiement. Le ministre des Finances paie, mais il vient pleurer chez moi que j’ai détourné.» A noter que le Minfi est partie civile dans le procès.

L’accusé conclut son propos en déclarant n’avoir rien détourné et ne s’être livré à aucun blanchiment de capitaux : «J’attends sereinement que vous me remettiez en liberté. Je vais ajouter, en l’absence de détournement, je ne peux avoir de complices pour une infraction que je n’ai pas commise», dit-il.

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