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«J’ai fait le boulot qu’il fallait»


Le Premier ministre sortant estime que son gouvernement présente un «bilan solide» au bout d’une législature chahutée. Tête de liste du DP, Xavier Bettel cite  la fiscalité et le logement comme les grandes priorités.

À la tête du gouvernement depuis 2013, Xavier Bettel vise à être reconduit une deuxième fois comme Premier ministre. Avec qui comme partenaires de coalition? Il dresse une série de lignes rouges et cible aussi bien le CSV, le LSAP et déi gréng.

La législature qui touche à sa fin aura été profondément marquée par la pandémie de covid et les répercussions de la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine. Au vu de ces circonstances, avec quel bilan vous présentez-vous devant les électeurs? 

Xavier Bettel : Le bilan est solide. On ne peut pas affirmer que rien n’a été fait, et ce, malgré les deux crises historiques que nous avons gérées avec succès. Les chiffres nous donnent raison : la surmortalité durant la pandémie est la moins élevée au monde, le taux d’inflation figure parmi les plus bas dans la zone euro, et le pouvoir d’achat des citoyens a été renforcé grâce aux mesures que nous avons prises en collaboration avec les partenaires sociaux, telles que le frein aux prix de l’énergie, l’application intégrale des tranches indiciaires et les crédits d’impôt. Il est cependant important de noter qu’il y a un parti qui se présente aux élections en proposant de revenir en arrière dans le temps.

Vous faites allusion au CSV, qui cherche à tout prix à revenir au pouvoir. Existe-t-il des lignes rouges pour engager, le cas échéant, une coalition avec les chrétiens-sociaux?

Je citerais la politique familiale, où le CSV veut encourager un des deux parents à arrêter de travailler pour s’occuper des enfants. C’est une grosse erreur. On lance les gens dans la précarité. Même s’ils affirment que la compensation proposée de 300 euros à elle seule n’incitera pas un parent à arrêter de travailler, il existe des personnes qui sont prêtes à le faire.

Il s’agit souvent des plus précaires, qui risquent de ne pas retrouver d’emploi une fois leur enfant scolarisé. Un autre point est l’opposition à une individualisation de l’impôt. Il n’est plus concevable que le statut matrimonial fixe le statut fiscal. Pourquoi punir quelqu’un parce qu’il est célibataire, divorcé ou veuf?

Le CSV veut se contenter de prolonger le délai avant qu’une personne ne bascule d’une classe vers l’autre. Cela témoigne d’un manque de compréhension de la société, où il est important de donner de la flexibilité aux gens. Or, cela n’empêche pas que je sois plus proche du CSV que des partis de la coalition sortante sur d’autres points.

L’argument avancé pour ne pas avoir réalisé la grande réforme fiscale, promise en 2018, est un manque de marge financière à la suite des crises successives. Comment comptez-vous procéder si le DP est maintenu au gouvernement?

Je m’engage à ce que cette réforme figure parmi les trois grandes priorités du prochain gouvernement. Or, contrairement à d’autres partis qui promettent que ce sera fait pour le 1er janvier 2024, je ne peux pas avancer de date précise. Le DP compte procéder par étapes, car je reste d’avis que contracter un emprunt pour financer une réforme fiscale n’est pas opportun.

On ne peut pas clamer que tout sera prêt au 1er janvier et garder en même temps les finances publiques saines. D’ailleurs, le CSV, le LSAP et déi gréng proposent des choses qui ne sont pas réalisables. Moi, je n’ai pas envie de tomber dans cette surenchère. Il faudra avancer au fur et à mesure sur l’individualisation et l’adaptation du barème à l’inflation. On aura cinq ans pour mener à bien cette réforme.

Un contre-financement s’avère indispensable au vu d’une marge financière de l’État qui reste limitée. Quelles sont les alternatives à un nouvel endettement, que vous venez de refuser?

La compétitivité sera un élément clé. Il faut savoir que la Place financière génère un tiers des recettes fiscales. Il existe des partis qui ne voient pas que l’attractivité du Luxembourg n’est pas due à la forteresse, au château de Vianden, à Melusine ou à la Procession dansante. Notre atout est la compétitivité, qui est aujourd’hui mise à rude épreuve.

Je le vois au niveau de fonds d’investissement qui partent à Dublin, je le vois au niveau industriel avec peu d’implantations au pays. Il faut trouver le bon équilibre. D’un côté, il nous faut rester compétitifs, et de l’autre, mener une réforme fiscale qui ne fasse pas fuir de potentiels investisseurs.

Ce n’est pas une réduction du temps de travail à 38 heures, une augmentation de la fiscalité ou une hausse du salaire minimum qui vont aider à attirer des investisseurs. On est également opposés à un impôt de succession. Avec moi, un tel impôt ne se fera pas.

Vous ciblez ici votre partenaire de coalition LSAP. Est-ce que ces divergences de vues risquent de plomber une nouvelle coalition?

Il faut savoir que pour pouvoir mener une politique sociale et continuer à investir, il faut d’abord générer des recettes fiscales, faute de quoi les finances publiques vont se dégrader massivement.

En même temps, les trois partenaires de la coalition sortante ont déjà démontré pouvoir prendre ensemble des mesures tout en respectant le seuil des 30 % de dette publique par rapport au PIB.

Revenons à la question du temps de travail, à laquelle vous avez adressé très tôt une fin de non-recevoir aux socialistes. Pourquoi?

Dire aux gens avant une élection qu’ils vont gagner plus en travaillant moins, ça sonne bien. C’est la même chose pour Luc Frieden (NDLR : la tête de liste du CSV) qui promet que tout le monde paiera moins d’impôts. Moi, je n’ai pas envie qu’un programme électoral sonne bien, mais plutôt que ce soit un engagement sur des points qui soient réalisables et finançables.

Nous misons davantage sur une plus grande flexibilité, avec à la clé l’introduction d’un compte annuel d’heures de travail à prester, selon les besoins et la volonté de l’employeur et du salarié. Cette flexibilité doit être décidée au niveau des entreprises, qui disposent d’ailleurs déjà de la possibilité de réduire le temps de travail. On ne peut pas imposer du haut vers le bas une telle réduction, de surcroît dans une situation de pénurie de main-d’œuvre.

«Moi, j’aborde ces élections avec l’ambition de rester Premier ministre», affirme Xavier Bettel.

Le DP plaide toutefois pour un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Comment y parvenir sans toucher aux 40 heures?

Il n’existe pas de modèle qui marche pour toutes les entreprises. À certaines périodes, le volume de travail est plus important. À d’autres, un salarié a besoin de plus de temps pour sa famille.

C’est pourquoi nous voulons par exemple augmenter le recours au temps partiel ou prolonger de 10 à 15 jours le congé de paternité. Il s’agit de choses qui sont réalistes, mais qui ne sont pas des hypothèques sur les générations futures.

À la sortie de votre second mandat en tant que Premier ministre, vous avez identifié le logement comme votre plus grand échec. Le DP annonce désormais une grande offensive dans ce domaine. Que comptez-vous changer par rapport à la politique qui est appliquée depuis 2013?

La première chose est que l’État a longtemps investi dans la vente de logements. Je pense qu’il est désormais important d’investir dans la location. Un jeune qui veut aujourd’hui contracter un prêt pour acheter va être questionné sur son capital de départ. Or, quand on commence sa vie d’adulte, on n’a pas de capital de départ.

Il n’est pas normal que ce soit l’héritage laissé par les parents ou grands-parents qui décide de l’octroi d’un prêt. Il est donc important de pouvoir proposer des locations à un prix plus abordable afin de permettre à ces jeunes d’accumuler du capital. La deuxième chose est qu’il faut s’allier aux communes. Certains partis plaident pour construire plus haut et plus vite.

Je tiens à rappeler l’autonomie communale. L’État ne peut rien leur imposer, mais on peut s’asseoir ensemble pour définir la marche à suivre. En troisième lieu, il faut mener une offensive avec les gens qui disposent d’une réserve d’argent en créant un genre de cagnotte commune, que nous appelons le Fonds citoyen. Les investisseurs dans ce fonds auront droit à un taux de rendement attractif.

Est-ce que cela sera suffisant pour lutter contre la spéculation foncière, considérée comme l’un des principaux maux du marché du logement luxembourgeois?

C’est un peu contradictoire pour un libéral, mais je défends pleinement les taxes pour mobiliser les terrains constructibles. Les gens qui gardent un terrain pour leurs enfants seront bien exonérés, mais des gens qui ont trois, quatre, cinq, dix terrains et qui ne les mettent pas sur le marché pour des raisons de spéculation devront être frappés d’une taxe qui augmente annuellement.

La même chose vaut pour les logements laissés vides. Et puis, l’absence de réponse de l’État endéans un certain délai équivaudra à une approbation du projet de construction. En fait, le plus utile serait d’avoir un grand ministère où toutes les composantes du logement seraient regroupées.

À quoi pourrait ressembler ce nouveau ministère?

Ce serait un super-ministère du Logement, qui pourrait notamment regrouper les actuels ministères du Logement et de l’Intérieur. En fait, il est important d’avoir un ministère qui ait à la fois des compétences dans la facilitation administrative, la coordination au niveau environnemental et la protection du patrimoine.

Il faut mettre fin à ce millefeuille, qui parfois donne lieu à des contradictions, même entre les avis émis par des instances étatiques. Il est donc important d’avoir vraiment une place centralisatrice qui coordonne le tout. 

Le DP s’est également emparé du pouvoir d’achat comme grande priorité. Un renforcement des moyens des ménages pourra-t-il enfin permettre de réduire les inégalités sociales?

On tient compte du montant des revenus, sans faire le calcul de l’équivalent en argent de ce que constituent les nombreuses aides financières et matérielles introduites par ce gouvernement. Personnellement, je pense qu’aider les gens de manière directe est souvent plus efficace que d’augmenter les salaires.

L’index est un autre élément qui fait que les inégalités se creusent, avec les gros salaires qui touchent une compensation plus importante que les petits. J’avais proposé d’ouvrir une discussion, mais je me suis heurté à une fin de non-recevoir. Je ne toucherai pas à l’index sans accord des partenaires sociaux. Engager une guerre sur un instrument qui garantit la paix sociale serait une erreur.

Dans les récents sondages, votre parti est crédité d’une cote de popularité en baisse, alors que la majorité des sondés vous choisirait pourtant comme Premier ministre. Est-ce que cette tendance vous inquiète?

Cette élection sera assez inédite avec quatre candidats qui se présentent ouvertement pour devenir Premier ministre. Moi, je ne suis ni confiant, ni inquiet.

Je suis zen parce que j’ai fait le boulot qu’il fallait. Soit les gens partagent cet avis, votent pour le DP et me reconduisent, soit ils estiment que Paulette (Lenert), Sam (Tanson) ou Luc (Frieden) auraient mieux fait.

Vous avez déjà exclu un départ à Bruxelles en cas de reconduction comme Premier ministre. Pouvez-vous faire la même promesse si le DP doit lâcher la présidence du gouvernement?

Je ne me suis pas posé la question. Moi, j’aborde ces élections avec l’ambition de rester Premier ministre. On m’a demandé à plusieurs reprises si j’avais des ambitions à Bruxelles.

J’ai toujours répondu que ma priorité est de rester au Luxembourg. Ce n’est pas forcément mon titre qui compte. Mais je ne cache pas mon envie de continuer à diriger ce pays.



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