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Ce que risque le Sénégal en cas de renégociation des contrats, selon Me Baboucar Kane


Le président élu du Sénégal, Bassirou Diomaye Faye, a promis pendant la campagne électorale la renégociation des contrats miniers, pétroliers et gaziers. Nous ne sommes pas sur le terrain politique, mais la question nous interpelle dès lors qu’elle revêt un aspect scientifique.

Les ressources naturelles, d’après l’article 25 de la Constitution du Sénégal, appartiennent au peuple et les autorités étatiques qui négocient l’acte de prévision que constitue le contrat extractif ont l’obligation de le faire dans l’intérêt exclusif du peuple. Le Sénégal, au même titre que d’autres pays africains, regorge de ressources minérales solides, liquides et gazeuses, mais malheureusement, il ne dispose pas de moyens techniques et financiers pour l’exploration et l’exploitation de ces richesses minérales.

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Cet acte de prévision est défini dans le domaine extractif comme une convention signée entre un État d’accueil et un opérateur public ou privé, national ou international, aux fins d’explorer et d’exploiter une ressource minérale solide, liquide ou gazeuse. Il est important de préciser que le domaine extractif est constitué de trois secteurs : l’amont extractif ou upstream en anglais, constitué de tout ce qui est exploration ou exploitation des ressources minérales. Ensuite, l’aval extractif ou downstream constitué des activités de transport après extraction, de stockage, de commercialisation et de distribution.

Enfin, entre les deux, le secteur intermédiaire ou midstream, constitué de tout ce qui est opérations intermédiaires entre le downstream et le secteur upstream. La définition susvisée du contrat extractif ne concerne donc que le secteur amont ou upstream, à l’exclusion des deux autres secteurs. Pour chercher et extraire cette ressource minérale dans l’intérêt du peuple, le Sénégal n’avait d’autre choix que de faire appel aux sociétés multinationales techniquement aptes et financièrement prêtes à s’engager dans cette entreprise lourde de conséquences. Il existe plusieurs types de contrats extractifs tels que le contrat de concession, la joint venture, le contrat de partage de production, etc. Les autorités sénégalaises ont opté pour les contrats de concession et les contrats de partage de production.

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À l’état actuel des choses, les contrats de services n’ont jamais été conclus dans le domaine extractif par le Sénégal, contrairement à la confusion faite par certains. Précisons que le contrat de concession peut être défini comme un contrat par lequel l’autorité étatique accorde à son cocontractant le droit d’exploiter le domaine extractif pour son propre compte et d’acquérir la propriété des gisements qui s’y trouvent moyennant une certaine redevance à payer. Par contre, le contrat de services est celui par lequel une personne privée fournit des services ou des prestations moyennant une rémunération en espèces ou en nature. C’est presque un contrat de travail.

C’est dans ce contexte de manque de moyens, de compétition internationale et surtout d’incertitude quant à l’existence de la ressource minérale dans le sous-sol que furent conclus la plupart des contrats extractifs sénégalais. Au terme de plusieurs années de partenariat, la question qui se pose est celle de savoir s’il est possible de remettre en cause ces différents contrats et de tout renégocier comme l’avait prévu le président nouvellement élu. Il y a des obstacles juridiques et économiques qui se dressent sur le chemin de ceux qui veulent renégocier les contrats miniers. Le premier obstacle juridique est le défaut de reconnaissance judiciaire de l’imprévision comme motif de renégociation des clauses contractuelles.

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En effet, dans le célèbre arrêt Canal de Crapone, le juge estime qu’ « Il n’appartient pas aux juges, aussi équitables que puissent leur paraître leurs décisions, de prendre en compte les circonstances de temps ou de lieux pour modifier une clause contractuelle ». Autrement dit, si les entreprises minières refusent de renégocier, l’État du Sénégal n’a aucune chance de voir sa demande de revisiter les clauses contractuelles prospérer devant la juridiction judiciaire. Il s’y ajoute que dans tous les contrats extractifs, les entreprises minières ont inséré des clauses de stabilisation pour se prémunir des risques politiques et se mettre à l’abri des changements économiques et législatifs.

Soulignons que la clause de stabilisation est celle par laquelle l’État hôte de l’investissement pétrolier et minier s’engage à ne pas opposer à son cocontractant, un investisseur étranger, les modifications de son droit interne postérieures à l’entrée en vigueur du contrat. Par une telle clause, le pouvoir normatif de l’État de modifier unilatéralement le contenu du contrat par l’entremise de nouvelles dispositions légales ou réglementaires est neutralisé. L’investisseur étranger vise à maintenir l’équilibre contractuel initial avec une telle clause. Sur le plan international, on assiste également à la consécration jurisprudentielle de la validité de la clause de stabilisation.

Dans l’affaire AGIP S.p.a c.République populaire du Congo, CIRDI n°ARB/77/, sentence du 30 novembre 1979, la juridiction arbitrale estime que : « ces clauses de stabilisation qui ont été librement souscrites par le Gouvernement n’affectent pas dans son principe sa souveraineté législative et règlementaire puisqu’il conserve l’une et l’autre à l’égard de ceux, nationaux et étrangers, avec lesquels ce gouvernement n’a pas pris de tels engagements, et qu’elles se bornent dans le cas présent, à rendre inopposables à son contractant, les modifications des dispositions législatives et réglementaires visées à l’accord ». Cette consécration de la validité de la clause de stabilisation est également faite par le législateur sénégalais à l’article 27 in fine du nouveau code minier et à l’article 72 du code pétrolier de 2019.

Ceux qui pensent que l’État est suffisamment fort pour imposer ses règles doivent savoir que l’État du Sénégal n’est pas dans le domaine du droit administratif. Dans le droit administratif, l’administration peut invoquer la théorie de l’imprévision, ses prérogatives de puissance publique et plusieurs autres motifs pour obliger les sociétés minières à renégocier les contrats miniers.

Il faudra simplement préciser que dans le cadre d’un contrat administratif, la personne publique dispose de prérogatives de puissance publique et des clauses exorbitantes de droit commun.
Dans ces contrats, la personne publique, souvent l’État, peut y mettre un terme en invoquant des motifs spécifiques au contrat administratif, mais c’est différent lorsqu’il s’agit de contrats miniers, des contrats extractifs.

Dans ces contrats-là, l’État est une partie, mais une partie comme son cocontractant, dépourvue de ses prérogatives de puissance publique. L’État est dans le commerce et en tant que tel, il est considéré comme un simple privé. Plus grave encore, ces multinationales ont l’appui de leurs États, et parfois même ce sont des sociétés d’État poursuivant un service public dans un secteur vital de leur économie. La preuve la plus évidente est qu’en cas de difficultés d’exécution du contrat, ce n’est pas le tribunal administratif qui est saisi du litige, mais le tribunal arbitral international désigné dans le contrat.

Ensuite, le droit applicable à ce contentieux n’est pas le droit administratif national, mais le droit choisi par les parties dans le contrat. Le président de la République, qui est juriste, ne saurait perdre de vue cet aspect. Dans ces contrats extractifs, l’État du Sénégal a péché puisqu’à côté des clauses de stabilisation, il avait bien la possibilité de prévoir et d’insérer une clause de renégociation ou de maintien de l’équilibre économique permettant au moins l’ajustement du contrat en cas de changement de la loi ou la renégociation en cas de circonstances nouvelles.

L’État du Sénégal n’a pas choisi d’insérer de telles clauses dans les contrats extractifs, il ne peut alors compter que sur la bonne volonté de ses cocontractants qui, peut-être, accepteront de renégocier les contrats qui ne pourront être remis en cause qu’avec la volonté commune des parties. En l’absence de cette volonté commune, il ne restera que l’argument de la force de la puissance publique qui aboutira inéluctablement à la résiliation du contrat extractif. Cette éventuelle rupture brutale du contrat extractif risque d’avoir de lourdes conséquences pour le Sénégal. En effet, nous avons déjà souligné que les codes miniers et les contrats miniers ont été faits dans un contexte de compétition internationale et à un moment où l’État du Sénégal avait la volonté ferme d’exploiter les richesses de son sous-sol.

Il fallait donc attirer les investisseurs et éviter que les pays voisins ne les détournent avec une législation beaucoup plus attractive et incitative. En faisant prévaloir l’argument de la force sur la force de l’argument, on risque d’assister à la fuite des investisseurs à cause de l’insécurité juridique dont ils seront victimes. Ensuite, ce forcing dans le domaine contractuel entraîne non seulement la fuite des investisseurs mais aussi des contentieux qui exposeront le Sénégal à de lourdes sanctions par les tribunaux arbitraux auxquels seront soumis ces litiges relatifs à la rupture des contrats extractifs. Les coûts d’investissement et d’exploitation portent sur des montants colossaux et la réparation du préjudice en cas de rupture imputable au Sénégal risque d’être difficilement supportable pour l’État.

Le Sénégal peut encore éviter un tel supplice. Cela engendre également la remise en cause de la légendaire réputation de stabilité du Sénégal, chère au professeur Babacar KANTE qui l’a qualifié de pays constitutionnellement instable et politiquement stable. Le Sénégal suscite des convoitises et le domaine extractif est un secteur vital aux enjeux politiques et géopolitiques considérables. Nous avons encore la possibilité d’éviter les désagréments d’une rupture forcée dans la mesure où ce qui est possible n’est pas forcément ce qui est souhaitable. À défaut d’avoir ce qui est souhaitable, vaut mieux se contenter de ce qui est possible. Le président est averti et un président averti en vaut 18 millions de Sénégalais.

Maître Baboucar KANE

Avocat au Barreau du Sénégal



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