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Pour Guillaume Trap, astrophysicien, «nous ne savons plus observer le ciel»


S’ils fascinent et dérangent, les objets volants non identifiés (ovnis) sont de plus en plus pris au sérieux, notamment dans le domaine scientifique.

Comment peut-on analyser scientifiquement les phénomènes ovnis ? 

Guillaume Trap : On peut prendre l’exemple du Geipan (NDLR : Groupe d’études et d’informations sur les phénomènes aérospatiaux non identifiés) en France. Il recueille les témoignages des personnes ayant observé un phénomène ovni. D’ailleurs, les scientifiques de ce groupe utilisent plutôt le terme de PAN (phénomène aérospatial non identifié) que celui d’ovni qui reste très connoté. Ils essaient ensuite d’étayer ces témoignages par des données collectées sur place ou non.

Celles-ci peuvent être issues de radars, de plans de vol, de cartes astronomiques ou encore de caméras de surveillance du ciel. Pour ces scientifiques, le but est de faire coïncider les témoignages avec des phénomènes rationnels comme les aurores polaires, les conjonctions de planètes ou la foudre en boule. Ce sont des choses relativement rares pour le commun des mortels, mais qui ont une explication physique ou astrophysique très claire. Ceci dit, il y a toujours des zones d’ombre sur certains phénomènes naturels, ce qui rend ces recherches d’autant plus pertinentes.

Parmi ces phénomènes, certains sont-ils totalement inexplicables? 

Du point de vue des observations, il y a des cas inexpliqués mais cela doit représenter environ 3 % de tous les phénomènes traités. Et quand cela l’est, cela veut dire simplement que l’on manque de données ou que ces dernières sont fausses. Un témoignage est toujours à prendre avec des pincettes.

Et d’un point de vue plus matériel, à ma connaissance, il n’y a jamais eu de récolte d’échantillons extraterrestres inexplicables dans les travaux du Geipan. Et si de tels cas existaient, je pense que l’on serait au courant. Je ne crois pas aux fameuses théories du complot, très nombreuses dans ce domaine. Car justement, les données du Geipan sont extrêmement transparentes.

Avec la multitude des drones militaires ou des satellites, les observations de phénomènes aériens non identifiés sont-elles plus nombreuses aujourd’hui ?

C’est de là d’où vient tout le problème. Contrairement à nos ancêtres, nous ne savons plus observer le ciel. Dans le passé, on avait besoin de connaître le ciel pour se repérer dans le temps et dans l’espace. Or aujourd’hui, non seulement on n’apprend plus à repérer les étoiles ou les planètes, mais en plus l’atmosphère et les orbites basses sont envahies par les Terriens !

De fait, il est vrai que la première fois qu’on observe une série de points alignés avançant tous ensemble de manière déterminée, on est tentés d’y voir une invasion extraterrestre… Alors que finalement, c’est juste Elon Musk qui vient de lancer son dernier train de satellites (…). Cette méconnaissance du ciel et la pollution lumineuse, notamment engendrée par les satellites, entraîneront, je pense, avec le temps toujours plus de cas.

Les scientifiques luxembourgeois s’intéressent-ils à la question des ovnis ? 

À ma connaissance, non. Est-ce qu’il y aurait un intérêt pour lequel le Luxembourg se dote d’un service comme le Geipan ? Oui, certainement. Bien sûr, le territoire est relativement limité, et s’il y a un phénomène majeur, il sera vu probablement dans les pays voisins. Mais je crois en l’importance d’une antenne sérieuse capable de discuter avec le public de ce qui se passe au-dessus de nos têtes, que ce soit pour accueillir d’éventuels témoignages ou plus généralement informer quotidiennement des phénomènes célestes et de l’avancée des connaissances en matière de météorologie et d’astrophysique. Un tel service représente d’ailleurs aussi un intérêt pour servir la recherche sur les phénomènes atmosphériques naturels encore mal compris.

Les scientifiques sont toujours friands d’anomalies, et des controverses qui en découlent

Pourquoi ce sujet est-il si tabou dans le domaine scientifique ? À titre d’exemple, aucun chercheur luxembourgeois n’a souhaité répondre à mes sollicitations sur cette question.

Dans la communauté scientifique, ce n’est pas le sujet dont on parle en premier à la machine à café. En revanche, la recherche de choses inexpliquées visibles dans le ciel, c’est quelque chose que l’on fait quotidiennement en astrophysique. Simplement, on ne mentionne jamais d’hypothèses liées à d’éventuelles intelligences extraterrestres parce qu’il y a des théories bien moins coûteuses pour expliquer ce que l’on observe (…).

Quand on est scientifique, on applique une démarche que l’on nomme le rasoir d’Ockham. Ainsi, quand on étudie un phénomène, on fait d’abord appel à un principe de simplicité et de parcimonie. On évite de ce fait les théories les plus farfelues. En revanche, il y a eu récemment un cas intéressant. Pour se remettre dans le contexte, en 2017, des astronomes observent un objet spatial assez étrange nommé « Oumuamua ». Un présumé astéroïde dont la trajectoire indique qu’il vient de très loin, au-delà de notre système solaire. Et quand on regarde la façon dont il réfléchissait la lumière du Soleil, on doit conclure à une forme non conventionnelle de cigare, voire de disque plat.

Or, du disque à la soucoupe volante, il n’y a qu’un pas. Un scientifique de renom du département d’astrophysique de Harvard a justement franchi ce pas en défendant ardemment l’hypothèse d’une voile stellaire extraterrestre à la dérive. Peut-être, a-t-il voulu surfer sur sa notoriété dans les médias à sensation ? Toujours est-il que la majeure partie de la communauté astrophysique y voit le premier représentant d’une nouvelle famille d’astéroïdes interstellaires fascinants (…). Cette histoire montre que les scientifiques sont toujours friands d’anomalies, et des controverses qui en découlent.

Justement, vous parlez des États-Unis. Pourquoi ce pays est-il beaucoup plus ouvert à débattre de ces sujets qu’en Europe par exemple ? 

En effet, la NASA a aussi récemment mis en place un service en charge des PAN, en relation d’ailleurs avec le département de la Défense. Peut-être faut-il y voir, entre autres, une volonté de renforcer la surveillance de potentiels drones issus de puissances étrangères ? Il y a aussi des différences culturelles. Aux États-Unis, il y a peut-être davantage cette culture du témoignage. Et puis, il y a une forte influence d’Hollywood et de la science-fiction. En tout cas, il n’y a pas de raisons a priori qu’il y ait plus de phénomènes chez eux que chez nous.

Que pensez-vous des ufologues, les soi-disant spécialistes de la question ovni ?  

Je m’en méfie. Même s’ils sont souvent excellents dans les débats avec les rationalistes ou les scientifiques, parce qu’ils sont rodés à l’exercice, ils véhiculent beaucoup de théories du complot et de désinformation. Si on devait leur attribuer un point positif néanmoins, ce serait peut-être d’avoir permis aux États-Unis l’ouverture d’archives de l’armée et donc d’avoir obtenu par leur influence un peu plus de transparence dans le domaine des PAN.

Dans le cadre de votre profession, vous formez les jeunes scientifiques. Est-ce un sujet que vous abordez ? 

Dans les ateliers que j’organise sur la méthode scientifique, il y a un pan sur l’esprit critique. Je cite parfois le cas de l’affaire de Roswell. D’ailleurs, c’est de cette façon que j’ai moi-même adolescent découvert le monde des ovnis. Dans les années 1990, cette émission de télévision diffuse une supercherie qui m’a beaucoup touché à l’époque : l’autopsie présumée d’un petit humanoïde extraterrestre.

Aujourd’hui, je me rends compte que l’esprit critique sur le plateau de Jacques Pradel tendait vers zéro. À l’heure actuelle, les jeunes sont exposés à bien pire sur les réseaux sociaux. Il faut ainsi mettre en place des garde-fous, des méthodes systémiques pour ne pas se faire avoir (…). Mais il me semble aussi essentiel d’intéresser les jeunes pour les recherches actuelles sur une possible vie extraterrestre à travers l’étude des exoplanètes ou les expériences d’exobiologie en laboratoire.

Des ovnis ont-ils été observés au Grand-Duché ?

Une question difficile à aborder tant les recherches sur ce sujet sont inexistantes au Luxembourg. Le Comité belge d’étude des phénomènes spatiaux (Cobeps) a tout même répertorié quelques cas au Grand-Duché. D’après leurs archives, trois cas d’objets volants non identifiés ont été recensés, l’un à Rodange en 1964, à Steinfort en 1972 ainsi qu’à Kautenbach en 1989-1991 par des Belges de passage. Il note un cas à Hesperange durant l’été 1978 à la suite d’une observation par un homme vivant à Berlin. Récemment, le Comité belge d’étude des phénomènes spatiaux a été alerté d’un phénomène en 2020. Des images de vidéosurveillance en infrarouge montrant un petit objet de quelques centimètres ont été captées à Eischen.

Tout proches du Luxembourg, de nombreux phénomènes ont été recensés par le Geipan. Ce service rattaché au Centre national d’études spatiales (CNES) étudie chaque année entre 150 à 200 dossiers en Lorraine. Si la grande majorité de ces faits ont pu obtenir une explication rationnelle, neuf d’entre eux restent inexpliqués. Prenons un exemple : le 3 décembre 1979 à Metz, deux témoins observent un objet de forme triangulaire émettant deux traînées de fumée rouge. Au passage d’une tour hertzienne, l’objet s’arrête quelques secondes avant de repartir. Après enquête, le Geipan ne permet pas d’identifier un trafic aérien correspondant aux observations. Le phénomène reste donc inexpliqué.

Outre la Lorraine, la Belgique a, elle aussi, été confrontée à des phénomènes ovnis. La fameuse vague belge est restée longtemps dans les annales des phénomènes aériens non identifiés. Entre 1989 et 1991, plusieurs dizaines de personnes observent un objet de forme triangulaire se déplaçant avec très peu de bruit. Pour les scientifiques sceptiques, ce phénomène est décrit comme une contagion psychosociale. «Il s’agit d’un phénomène sociologique où des personnes vont témoigner publiquement et entraîner par mimétisme des témoignages similaires», analyse Guillaume Trap.

 



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