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«Le langage employé par le gouvernement me dérange»


Sam Tanson, désormais cheffe de file de déi gréng à la Chambre, fustige le narratif de la nouvelle majorité CSV-DP par rapport au virage répressif qui s’annonce, mais aussi dans le domaine de la protection du climat.

Douloureusement écartés du gouvernement à l’issue d’élections législatives qui se sont soldées par une débâcle retentissante, déi gréng ont retrouvé, au bout de dix années, les bancs de l’opposition. Sam Tanson a la lourde tâche de relancer un parti qui ne dispose plus que de quatre élus à la Chambre des députés.

L’ancienne ministre de la Justice et de la Culture ne souhaite cependant pas se lamenter et affiche sa volonté de taper sur les doigts de la nouvelle majorité conservatrice-libérale. Les premières annonces sur le social, la sécurité intérieure et le climat interpellent notamment Sam Tanson et ses trois collègues, Joëlle Welfring, Meris Sehovic et François Bausch.

La semaine écoulée a été marquée par l’accord arraché à la COP28, incluant un appel inédit à abandonner progressivement les énergies fossiles. Le ministre de l’Environnement, Serge Wilmes, parle d’une « avancée historique« . Comment jugez-vous le verdict de la conférence mondiale sur le climat?

Sam Tanson : Trouver un accord est toujours une bonne chose, même s’il aurait été mieux que le texte adopté soit plus ambitieux. Si l’on considère que 2023 va être l’année la plus chaude des 125 000 dernières années, avec une solide hausse de la température moyenne par rapport au dernier record (NDLR : +0,85 °C en 2023, contre +0,45 °C en 2019), ce n’est pas forcément bien que des conclusions timides aient été tirées à la COP.

D’un côté, le nouveau gouvernement s’engage à mener une « politique climatique et environnementale ambitieuse« . De l’autre, le Premier ministre, Luc Frieden, déclare qu’il ne veut pas « agacer«  les citoyens avec les mesures de protection. Que vous inspire cette stratégie?

Le langage qui est employé me dérange. Luc Frieden parle de mesures qui agacent, mais il faut souligner que la politique environnementale constitue une opportunité pour nous tous. L’humanité a besoin d’une nature intacte pour pouvoir exister. On se doit de laisser à nos enfants une planète vivable.

Partant, je trouve problématique la terminologie employée par le gouvernement CSV-DP, d’autant plus qu’il est compliqué d’enthousiasmer les gens pour une cause si, dès le départ, vous clamez que la protection de l’environnement est quelque chose d’énervant.

Mercredi, le Premier ministre a annoncé la prolongation jusqu’à fin juin des aides majorées pour accélérer la transition énergétique, en subventionnant l’acquisition de chaudières non fossiles, de panneaux photovoltaïques et de véhicules électriques. Êtes-vous satisfaite que votre revendication ait été entendue par le nouveau gouvernement?

Dans la situation dans laquelle on se trouve, il est plus que jamais important de réussir cette transition énergétique. Nous savons que le potentiel des bâtiments pour économiser de l’énergie est énorme. De plus, on voit que de nombreux citoyens sont prêts à s’engager dans cette voie. Il n’est donc pas concevable d’avoir une barrière financière.

S’y ajoute la crise dans le secteur de la construction, avec des entrepreneurs qui affirment que ce sont justement ces aides majorées pour les rénovations énergétiques qui leur ont permis de garder la tête au-dessus de l’eau. Mettre fin à ce top up aurait été une erreur. On n’est pas opposé à l’évaluation qui est annoncée. Le plus important est qu’en attendant les conclusions, les aides restent en vigueur.

« Le ministre d’un parti qui porte le C dans son nom n’a pas trouvé mieux que de s’attaquer en premier aux plus démunis »

L’autre décision qui défraye la chronique est la décision du ministre des Affaires intérieures de valider l’interdiction de la mendicité sur le territoire de la ville de Luxembourg. En tant qu’ancienne ministre de la Justice, comment jugez-vous cette mesure, qui s’inscrit dans la volonté de mener une politique sécuritaire plus répressive?

Ce qui m’a frappée est que la première vraie mesure prise par le nouveau gouvernement va au détriment des plus démunis. On dresse une image de bandes criminelles et de mendicité organisée, mais si l’on regarde le règlement, aucune différenciation n’est faite. Il y est écrit que « toute forme de mendicité » est interdite.

Je ne peux que m’étonner que le ministre d’un parti qui porte le C dans son nom (NDLR : CSV, pour Parti chrétien-social) n’a pas trouvé mieux que de s’attaquer en premier à des personnes pauvres qui ont le droit de demander de l’aide.

Le LSAP de l’ancienne ministre de l’Intérieur Taina Bofferding se dit convaincu que le règlement n’est pas conforme à la Constitution. Partagez-vous cet avis?

Beaucoup de questions se posent. Il est étonnant qu’endéans deux semaines, l’avis juridique établi sous la ministre Bofferding ne soit plus valable. J’aimerais aussi bien pouvoir lire ce premier avis et l’interprétation du nouveau ministre. Il faut en effet pouvoir trancher la question de savoir si un règlement communal est suffisant pour limiter une liberté fondamentale au-delà de la limitation prévue par la loi.

La conformité de cette décision avec la jurisprudence en la matière de la Cour européenne des droits de l’homme reste également à être prouvée. Finalement, je suis interloquée par le fait que le ministre a pris sa décision sans avoir consulté au préalable la police grand-ducale.

Je me serais attendu qu’un ministre qui est à la fois en charge des communes et des forces de l’ordre clarifie en amont avec la police, mais aussi la justice, comment ce règlement peut être mis en œuvre sur le terrain.

La députée-maire de Luxembourg, Lydie Polfer (DP), se contente de dire qu’elle fait entièrement confiance aux agents pour faire la différence entre les deux types de mendiants…

Je trouve vraiment qu’il n’est pas sérieux de clamer que seule la mendicité agressive est visée, alors que cela ne ressort pas clairement du texte du règlement. Je n’ai pas la même lecture que la bourgmestre et le ministre Gloden. Il ne faut pas clamer des choses qui ne sont pas vraies.

La question de la praticabilité reste aussi sans réponse claire. Et puis, le signal envoyé est fatal en période de Noël, qui doit servir à penser surtout aux membres de notre société qui ne se portent pas bien. La décision prise m’a vraiment choquée.

Vous avez évoqué le C de chrétien. Dans son sigle, le CSV porte aussi un S, pour social. Sans oublier le DP comme partenaire de coalition, redoutez-vous, à l’instar de l’OGBL, qu’un vent froid souffle sur le pays sous le nouveau gouvernement?

J’ai beaucoup apprécié le fait que la lutte contre la pauvreté ait été placée tout en haut de l’agenda des négociations de coalition. L’échange que le CSV et le DP ont eu avec les acteurs de terrain a aussi été positif. Car nous sommes bien confrontés à un problème qui s’accentue avec la pauvreté des enfants, un phénomène qui touche particulièrement une société.

Toutes les études disent qu’un enfant qui grandit dans la pauvreté a un risque élevé de rester dans une situation précaire tout au long de sa vie. Je souhaite vraiment qu’on se dote enfin d’une approche coordonnée sur cette question. Il reste à voir quelles sont les réelles intentions du gouvernement.

Mais si l’on désigne la lutte contre la pauvreté comme une grande priorité, il est consternant de voir que le premier acte posé se traduit par une lutte contre les pauvres. Il faut se demander si les intentions du gouvernement sont vraiment crédibles.

Lors de la présentation du programme gouvernemental, vous avez souligné que 85 % du contenu se trouve dans la lignée de la politique menée par la majorité sortante, que déi gréng ont formée avec le DP et le LSAP. Les 15 % restants semblent toutefois posséder un important potentiel de conflit.

D’aucuns ont tenté de ridiculiser mes propos lors du débat à la Chambre sur le programme du gouvernement. On a clamé que l’on serait tout à fait contents avec le contenu de la politique annoncée. Or ce sont bien les 15 % restants qui posent problème.

La narratif qui nous dérange a trait notamment à l’environnement, à la politique du « law and order » (NDLR : la loi et l’ordre), mais aussi à la fiscalité. Les annonces faites vont dans le mauvais sens. On espère toutefois que le nouveau gouvernement aura la volonté de changer encore des choses dans les années à venir.

Un petit mois après avoir quitté le gouvernement, êtes-vous déjà pleinement arrivée dans votre nouveau rôle dans l’opposition?

Je ne suis pas quelqu’un qui râle. Ce n’est pas du tout dans mon naturel. On se trouve dans un processus démocratique. Une autre majorité s’est formée après les législatives en octobre. Déi Gréng n’en font plus partie. C’est tout. Il faut aborder ce nouveau défi avec un esprit sportif et assumer la tâche qui nous a été confiée par l’électeur.

Le rôle d’un parti d’opposition est très important. En tant que membres de la Chambre des députés, notre devoir est de contrôler le gouvernement, mais aussi de mettre le doigt là où le bât blesse. On ne voit pas dans l’immédiat les résultats de son action. Ça va nous manquer, mais il s’agit d’un travail très honorable que nous abordons avec beaucoup d’énergie.

Avec le LSAP et déi Lénk, vous côtoyez deux autres partis progressistes sur les bancs de l’opposition. Des alliances stratégiques sont-elles envisageables?

Nous sommes trois partis qui disposent d’ADN différents, mais où il existe certainement des points communs. Humainement, j’aime aussi travailler avec les collègues du LSAP et de déi Lénk. Il est évident que l’on pourra engager des collaborations, ce qui s’est d’ailleurs déjà fait remarquer tant en séance plénière que dans les réunions en commission parlementaire.

Le nouveau rapport de force de 35 contre 25 (NDLR : CSV et DP comptent une majorité de 35 élus, les cinq partis de l’opposition en comptent 25) est en train de s’installer, même si je dois dire que dans les 25, on retrouve des courants politiques très éloignés les uns des autres.

Le LSAP et déi Lénk sont des partenaires potentiels pour travailler sur la progressivité et le vivre-ensemble dans notre société ainsi que la durabilité.

La « catastrophe«  électorale vécue par votre parti fait l’objet d’une analyse en interne. Existe-t-il déjà des premiers enseignements qui peuvent être tirés?

Les causes qui expliquent la débâcle sont nombreuses et très variées. Indépendamment du bashing et du hate speech (NDLR : discours de haine) dont le parti a été victime, il faut admettre que l’on se trouve dans une situation de crises multiples.

Fatigués, les gens préfèrent se focaliser sur autre chose et ne sont pas forcément enclins à se consacrer à de nouvelles problématiques. Le rôle que nous avons joué au sein du gouvernement, avec l’objectif d’être toujours un partenaire fiable et conciliant, peut aussi être un facteur. Mais il n’existe pas une seule raison qui explique le résultat.

Avec les élections européennes, le prochain scrutin arrive dans à peine six mois. Espérez-vous que cette échéance permettra à déi gréng de fêter un premier rebond?

Nous avons avec Tilly Metz une eurodéputée très engagée. Je suis d’avis que l’UE a un rôle déterminant à jouer en cette période de conflits multiples. On a besoin d’une Europe forte, humaine et résolument engagée dans la cause environnementale.

Il est d’autant plus inquiétant qu’un pays comme la Hongrie crée la zizanie et se rapproche de la Russie de Poutine. Il est aussi déplorable que le parti mère du CSV en Europe (NDLR : le PPE) se dise moins favorable à la politique climatique. On a donc besoin de forces progressistes pour faire face.



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