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La Cour des comptes s’interroge sur le Centaure, le nouveau blindé de la Gendarmerie nationale


Le remplacement des Véhicules blindés à roues de la Gendarmerie nationale [VBRG] a longtemps été un serpent de mer, cette opération ayant été maintes fois repoussée pour des considérations budgétaires. Finalement, ce dossier a connu une avancée – presque inattendue – en décembre 2020, quand le ministère de l’Intérieur lança une procédure pour acquérir 80 nouveaux engins, pour un montant évalué à 65-70 millions d’euros. Et cela, grâce au plan de relance de l’économie, décidé lors de la pandémie de covid-19.

Moins d’un an après, la Gendarmerie nationale fit savoir que son choix s’était porté sur le « Véhicule blindé de maintien de l’ordre » [VBMO] présenté par le groupe Soframe.

« Cette solution, qualifiée et éprouvée, est directement issue de la famille de véhicules ARIVE produits à près de 1800 exemplaires. Ces véhicules ARIVE ont fait de Soframe le premier constructeur français de véhicules blindés entre 2017 et 2019 », s’était félicité l’industriel, à l’époque.

Depuis, le VBMO a été baptisé « Centaure« . Plusieurs exemplaires ont été mis en service, certains d’entre eux ayant été sollicités lors des émeutes urbaines de juin 2023. A priori, ces blindés donnent satisfaction à la Gendarmerie. Son directeur [DGGN], le général Christian Rodriguez eut d’ailleurs l’occasion de dire tout le bien qu’il en pensait lors d’une audition à l’Assemblée nationale, en octobre dernier.

Le Centaure est « un engin exceptionnel. Nous l’avons utilisé durant les émeutes urbaines des mois de juin et juillet, à la fois pour protéger les gendarmes qui se déplaçaient, mais également pour réduire quelques barricades. Il est doté de capacités de diffusion de lacrymogène impressionnantes. Elles permettent ainsi d’éviter le contact et par conséquent les violences graves. Il dispose également de capteurs qui lui permettent d’orienter la tourelle en direction de l’endroit où un coup de feu a été tiré. Il peut également être doté d’une arme de guerre lorsqu’il sert dans d’autres circonstances que le maintien de l’ordre », avait en effet détaillé le DGGN.

Le Centaure « dispose également d’une très grande précision dans l’application des tirs, notamment les tirs de lacrymogènes, grâce à des mesures de distance effectuées par laser. En outre, il roule très rapidement et ne tombe pas en panne. Il est capable de percuter une barricade et de dégager un terrain très facilement, ce que le VBRG n’était pas en mesure de faire. Ses diffuseurs lacrymogènes protègent le véhicule : ceux qui voudront s’en approcher ne pourront pas y parvenir », s’était encore enthousiasmé le général Rodriguez.

Et d’ajouter : « En résumé, il sera en mesure d’effectuer un grand nombre de tâches, du bas du spectre jusqu’au très haut du spectre. Il est par exemple capable de projeter des enquêteurs dans un environnement pollué de type NRBC [nucléaire, radiologique, biologique et chimique] ».

Seulement, la Cour des comptes est visiblement plus réservée à l’égard de ce programme. C’est ce qu’il ressort de son rapport sur les « forces mobiles », rendu public ce 3 avril.

« L’analyse du mode passation du marché n’a pas fait apparaître d’irrégularités mais la nécessité de décaissement rapide des fonds, elle-même inhérente au mécanisme du plan de relance, a conduit à une spécification rapide de besoins. Cette rapidité excessive a conduit, de l’aveu même de la Gendarmerie, à omettre aux stades initiaux de spécification des besoins techniques importants relatifs notamment au maintien en condition opérationnelle des véhicules. Un plan de maintenance a ainsi dû être rajouté au cahier des clauses techniques particulières, qui n’en contenait pas au départ », est-il avancé dans ce document.

Mais les observations de Cour des comptes ne s’arrêtent pas là. Notant que le Centaure est le véhicule « le plus polyvalent et le plus armé » de tous les blindés utilisés par les forces de maintien de l’ordre des pays européens « similaires à la France », les magistrats de la rue Cambon ont pointé le fait que « sa conception et sa spécification technique ont précédé la définition de son usage » et que son concept d’emploi définitif n’a été arrêté que le 14 décembre 2023.

En outre, au regard de la polyvalence du Centaure, le rapport s’interroge sur la décision d’en acquérir 90 exemplaires pour remplacer autant de VBRG.

« Le choix d’une cible d’équipement à 90 véhicules garantissant un remplacement un pour un des VBRG interroge aussi, dans la mesure où les surcroîts de polyvalence impliquent souvent une réduction des flottes de grands systèmes militaires [exemple du Rafale ou des frégates multi-missions] », affirme le document. L’exemple des frégate n’est pas le plus pertinent… Et malgré toutes ses qualités, le Centaure n’a pas encore le don d’ubiquité… C’est d’ailleurs ce que les gendarmes lui ont rétorqué, comme elle l’a admis.

« La gendarmerie justifie ce choix par deux raisons : d’une part, l’accroissement du champ des missions du blindé, qui sera employé non seulement pour des missions de maintien de l’ordre, mais aussi à d’autres missions relevant de la sécurité publique [traque de forcenés, lutte antiterroriste, participations aux opérations extérieures] que le durcissement du contexte sécuritaire rend plus risquées. D’autre part, elle conçoit ce blindé non comme lui appartenant en propre, mais comme susceptible d’être mis à la disposition de l’ensemble des services du ministère de l’Intérieur », lit-on dans le rapport.

Pour autant, la Cour des comptes n’est pas convaincue. « Les autres forces, à commencer par la police nationale, qui n’utilise pas de blindés de cette taille, n’ont pas exprimé un intérêt particulier pour l’usage de ce véhicule », argue-t-elle. Et de conclure : « Il en résulte que de forts doutes entourent l’adéquation de la flotte de Centaure à l’usage réel qui en sera fait ».

Dans la réponse qu’il a adressée à la Cour des comptes, le ministère de l’Intérieur a fait valoir le Centaure est le résultat d’un « projet stratégique abouti » qui a pu se concrétiser grâce au plan de relance. « Les modalités de définition technique du besoin ont pris en compte les modèles industriels existants afin de garantir un appel d’offres fructueux », a-t-il assuré.

En revanche, il a admis que le plan de maintenance proposé par Soframe n’avait effectivement pas été « agréé en l’état » et que des travaux complémentaires sont en cours pour « s’adapter au nouveau schéma national de l’appui à la mobilité, qui prévoit l’internalisation de certaines opérations ». Enfin, d’après la place Beauvau, les présentations techniques du Centaure auprès de la Police nationale ont « suscité un intérêt certain ».

Photo : © SIRPAG – BRI T. DOUBLET





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