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Empoisonnement et morts en cascade : c’est la débandade et la peur dans une grande prison camerounaise

Quatre autres intoxiqués se trouvent à l’hôpital régional de la localité. Les examens médicaux effectués indiquent que les infortunés ont consommé un repas dans lequel a été injecté un insecticide. Le Chrada piloté par Me Félix Agbor Balla indexe la surpopulation des prisons comme obstacle au contrôle et suivi régulier de l’univers carcéral.

Les nouvelles de la prison centrale de Bamenda suscitent, ces jours-ci, de l’indignation au sein de l’opinion publique camerounaise, surtout dans les rangs des défenseurs des droits humains. En effet, des sources proches des responsables de cette prison annoncent que dans l’enceinte de cet univers carcéral situé dans la région agitée du NordOuest du Cameroun, au moins quatre détenus sont morts, le 26 juin dernier, après avoir consommé une nourriture empoisonnée. D’autres sources à l’instar de www.mimimefoinfo.com parlent de six morts. Un insecticide, selon des experts, a été introduit dans ce repas constitué de la farine de manioc et d’un légume récolté en forêt et localement appelé « water fufu and eru » provenait de l’extérieur de la prison. Quatre autres détenus, selon des informations recueillies par Journalistes en Afrique pour le développement (Jade), se trouvent actuellement à l’hôpital régional de Bamenda dans un état critique. Les examens effectués à l’hôpital régional de cette localité révèlent que les personés décédées ont consommé une substance toxique. Après des fouilles organisées par les responsables de ce pénitencier, le poison en question a été retrouvé sous le lit d’un détenu. Il a avoué être à l’origine de l’empoisonnement du repas collectif. Sa motivation : trouver de retrouver hors de la prison pour s’évader, sans grande peine. Pour l’instant, ce suspect a été auditionné sur ordre du procureur de la République territorialement compétent. Il pourrait être inculpé et jugé pour meurtre ou homicide suivant le code pénal camerounais. Les leaders des organisations de défense des droits humains à l’instar de Me Abgbor Mbala, déplorent cette situation et dénoncent les mauvaises conditions de vie dans les prisons camerounaises marquées par une surpopulation, une extrême pauvreté suivie d’une promiscuité et d’une insuffisance alimentaire criarde.

Manque de professionnalisme des geôliers

Le promoteur de Centre for Human Rights and Democracy in Africa (Chrda) entendu Centre pour les droits humains et la démocratie en Afrique, Me Félix Agbor Balla, épingle ainsi les geôliers de la prison de Bamenda. Le nombre insuffisant et le manque de professionnalisme des geôliers en question sont mis en cause. L’Etat du Cameroun se trouve, face à cette situation, accusé de ne pas suffisamment prendre en considération que le droit à la vie doit être protégé, y compris celui des prisonniers ou des détenus. Tout comme, il devrait savoir que la concrétisation du droit à une alimentation adéquate suppose « la disponibilité de nourriture exempte de substances nocives et acceptable dans une culture déterminée, en quantité suffisante et d’une qualité propre à satisfaire les besoins alimentaires de l’individu; l’accessibilité ou possibilité d’obtenir cette nourriture d’une manière durable et qui n’entrave pas la jouissance des autres droits de l’homme ». D’ailleurs, la prison centrale de Bamenda est singulièrement surpeuplée. Construite pour moins de 50 personnes, elle héberge environ 500 détenus officiellement déclarés ou environ 700, selon les organisations de la société civile. Du fait de la crise anglophone constitutive de nombreuses interpellations « abusives » des jeunes, des hommes et des femmes, présumés militants ou proches des groupes séparatistes armés, le nombre de ses pensionnaires est exponentiellement croissant. Nonobstant des transferts de certains « délinquants » arrêtés à Bamenda vers les prisons de Bafoussam et de Yaoundé, l’effectif des personnes détenues ou prisonnières dans la capitale régionale du Nord-Ouest est anormal. D’où cette promiscuité qui, selon le Chrada, rend difficile et pénible le travail de contrôle des geôliers qui y sont affectés. D’où la persistance de la surpopulation carcérale comme dans les autres prisons du Cameroun où le pire a été redouté pendant la période la plus critique de la pandémie du Covid 19.

La surpopulation carcérale est légendaire

Le décret présidentiel n°2020/193 du 15 avril 2020 portant commutation et remise de peines a accordé la grâce présidentielle à certaines personnes détenues, en vue d’éviter une potentielle catastrophe au sein des prisons surpeuplées où le risque de propagation du Covid-19 est élevé, a été signé par Paul Biya, président de la République du Cameroun. L’Acat (Association catholique de lutte contre la torture), branche du Cameroun, s’est réjouie de ces mesures prises pour désengorger les prisons camerounaises. Toutefois, une analyse profonde du décret laisse apparaître que ce dernier n’a pas été suffisant pour faire face à cette crise sanitaire et autres dangers comme l’empoisonnement d’un repas collectif enregistré à la prison de Bamenda il y a environ une dizaine de jours. Au Cameroun, souligne l’Acat, les prisons comptent 17 915 places disponibles. Cependant, en 2017, on dénombrait 30 701 prisonniers, ce qui représente un taux de surpopulation de plus de 171%. Cette situation est particulièrement alarmante alors que l’épidémie actuelle exige a minima une « distanciation sociale ». Plus de 70% des personnes privées de liberté au Cameroun sont en détention provisoire sur l’ensemble du territoire national. Or, selon l’article 1er du décret présidentiel, la mesure vise exclusivement les personnes définitivement jugées et condamnées, excluant ainsi les prévenus. En outre, plus de 60% des personnes en détention le sont pour des motifs qui ne permettent pas de bénéficier, ni de la commutation, ni de la remise, selon l’article 4 du décret. Plus de 50% des personnes condamnées définitivement resteront donc en prison. Aussi, parmi les personnes condamnées à mort, plus d’un tiers des personnes inculpées depuis 2015 le sont pour des infractions liées au terrorisme, infractions exclues des mesures prises par le décret. A titre d’exemple, la prison centrale de Douala comptait, au 20 avril 2020, 3 473 personnes détenues. 2 385 se trouvaient en détention provisoire, soit 69% de détenus qui ne pouvaient bénéficier du décret. Parmi les 770 personnes définitivement condamnées et donc concernées par ces mesures, 608 détenus ont été libérés, ce qui représente seulement 17,5% des prisonniers. Dans la prison centrale de Yaoundé, les chiffres sont encore plus éloquents puisque seuls 361 détenus ont été libérés parmi les 4 000 prisonniers, soit seulement 9% de la population carcérale. Ces chiffres démontrent que les dispositions prises par le présent décret sont largement insuffisantes pour lutter contre la surpopulation carcérale.

Le respect de la sûreté et la sécurité des détenus

Selon le Chrda, l’Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus ou Règles Nelson Mandela, n’ont pas été respectées. Ce texte prescrit en effet, le respect dû à la dignité et à la valeur inhérente aux détenus en tant qu’êtres humains. La première partie, qui s’applique à toutes les catégories de détenus, contient maintenant un ensemble de cinq « Principes fondamentaux », qui définissent l’esprit général dans lequel les règles devraient être lues. Traiter tous les détenus avec le respect dû à la dignité et assurer à tout moment la sûreté et la sécurité des détenus, du personnel, des prestataires de services et des visiteurs participent à cette démarche. Des enquêtes indépendantes sont désormais prévues dans tous les cas de décès survenu pendant la détention ainsi que dans d’autres situations très préoccupantes. Il faut souligner que l’article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques reconnaît et protège le droit de toutes les personnes humaines à la vie. Le droit à la vie est le droit suprême … Dans ce sens, le comité des droits de l’homme de l’Onu souligne que le droit à la vie est un droit qui ne devrait pas être interprété de manière étroite. Il recouvre le droit des personnes de ne pas subir d’actes ni d’omissions ayant pour but de causer, ou dont on peut attendre qu’ils causent, leur décès non naturel ou prématuré, et de vivre dans la dignité. L’article 6 du Pacte garantit ce droit à toutes les personnes humaines, sans distinction d’aucune sorte, y compris à celles qui sont soupçonnées ou reconnues coupables de crimes, même les plus graves. Le droit à l’alimentation est également reconnu implicitement à travers d’autres droits. Conformément à l’interprétation de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, le droit à l’alimentation est implicitement protégé en vertu de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (1981) à travers le droit à la vie, le droit à la santé et le droit au développement économique, social et culturel. Selon le Comité des droits de l’homme, qui surveille l’application du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (1966), la protection du droit à la vie exige des états qu’ils adoptent des mesures concrètes, notamment des mesures pour éliminer la malnutrition. Le Comité contre la torture, qui surveille l’application de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (1984), a souligné que l’absence d’alimentation suffisante dans les établissements pénitentiaires était un élément susceptible d’être constitutif de traitements inhumains et dégradants.

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