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[Cinéma] «Le Procès Goldman», le temps de l’innocence


Cédric Kahn porte à l’écran le procès qui a passionné la France au printemps 1976 : celui de Pierre Goldman, écrivain, militant et braqueur. Un film sec et brutal dont le sujet fait encore écho aujourd’hui.

Cédric Kahn était encore enfant lorsque s’ouvrait, au printemps 1976 à Amiens, le second procès de Pierre Goldman, intellectuel, militant d’extrême gauche et braqueur de banques. «Au temps de sa gloire, dans les années 1970, je n’avais même pas dix ans, mais je revois encore son livre sur la table de chevet de mes parents. Pour leur génération, c’est quelqu’un qui a compté», s’est souvenu le réalisateur de 57 ans en marge du dernier festival de Cannes, où son film était sélectionné à la Quinzaine des cinéastes.

Le livre en question, Souvenirs obscurs d’un Juif polonais né en France, Pierre Goldman l’a rédigé dans sa cellule de Fresnes, où il a été condamné à la réclusion à vie en première instance. Dans ses pages, celui qui est apparu devant le juge pour trois hold-up sans violence et accusé du meurtre de deux pharmaciennes pointe les failles du procès; l’ouvrage, qui anime un débat public poussé par des figures intellectuelles et culturelles de gauche, fonctionne comme un «catalyseur» de l’annulation du procès. Cédric Kahn s’est plongé dans le récit de Goldman «il y a une quinzaine d’années», avec l’envie immédiate d’en tirer un film qui soit aussi puissant que sa première impression de lecture : «La vie de Goldman, c’est une série d’échecs, de drames, de renoncements. J’écarte donc la piste d’un biopic et je me dis que le film à faire, c’est (ce) procès (au) contexte très particulier».

 

Le cinéaste ne le cache pas : ce qui l’intéresse plus que tout dans ce procès, «c’est Goldman lui-même». «Ce qui me saute aux yeux, ce n’est pas son innocence, c’est sa langue, extraordinaire. Son style, sa dialectique, sa pensée.» C’est avec cette même verve littéraire que Pierre Goldman apparaît à son procès. Dans ce spectacle claustrophobe, il est l’attraction principale. La seule arme de Goldman est le langage; dans sa peau, Arieh Worthalter livre une performance intense, dénigrant la justice autant que se dénigrant lui-même.

On ne sait jamais très bien, avec ce personnage complexe, s’il paye le prix de la vérité ou de l’innocence… «Je suis innocent parce que je suis innocent» : ses laconismes sont aussi cinglants que ses logorrhées, qui finissent de garder en otage le spectateur-juré. Cédric Kahn, qui a tourné le film dans l’ordre chronologique, est un maître de la tension par l’épure, mais il défend cette fois des «raisons naturellement éthiques». Pas de musique, une mise en scène «à l’os» et strictement en huis clos : au tribunal, il n’y a «pas d’espace pour la fioriture».

Ce procès était un microcosme précis de la société française de l’époque (…) et d’une certaine manière rien n’a vraiment changé

S’il relate des faits qui ont près de 50 ans, Le Procès Goldman sonne aussi comme un réquisitoire très actuel contre nombre de questions de société : Pierre Goldman dénonce les violences policières et raciales, les discriminations, se définit comme un «Juif noir» et crache son venin sur la justice et ceux qui la rendent. «Pendant l’écriture, ça nous est apparu flagrant que la sociologie de l’époque était la même qu’aujourd’hui. La société est fracturée de la même manière», raconte Cédric Kahn.

En résumé, le film parle pour lui «de la justice, de sa complexité, il parle des enfants de la Shoah, de la condition noire, mais aussi des petits Blancs, ceux qui se sentent rabaissés, méprisés parce qu’ils n’ont pas les mots (…) Ce procès était un microcosme précis de la société française de l’époque, une époque où la justice était blanche et masculine, et d’une certaine manière rien n’a vraiment changé».

Ce qui éclate, dans ce film brutal et minimaliste, ce sont les performances des acteurs. Arieh Worthalter en tête, «une évidence» pour le réalisateur, qui dit de lui qu’il «avait tout pour jouer Goldman : le physique, l’intellect, la puissance». À ses côtés, Arthur Harari (coscénariste cette année d’un film de procès, la Palme d’or Anatomie d’une chute, réalisé par Justine Triet, sa compagne à la ville) est brillant dans le costume de Georges Kiejman, avocat de l’accusé qui entretient entre eux une atmosphère de méfiance.

Face à une somme de performances époustouflantes (ajoutons, entre autres, celle de Jerzy Radziwilowicz, qui joue Alter Goldman, le père), on s’identifiera surtout aux figurants, familles et membres des deux camps, qui, bien que taiseux, sont épiés tout du long par Cédric Kahn. On reconnaîtra aussi le visage du jeune demi-frère de l’accusé, Jean-Jacques Goldman, dans l’audience. Avec Roberto Succo (2001), Feux rouges (2004) ou encore La Prière (2018), Cédric Kahn a montré qu’il était l’un des auteurs les plus passionnants du cinéma français; il tient cette fois son chef-d’œuvre.



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