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Cameroun : un doctorat soutenue sur la fabrication et le conditionnement du Kilichi

Les travaux du Dr Ndih Baba ont été jugés de haute facture le 26 mai dernier à l’école nationale des sciences agroindustrielles (Ensai) de l’université de Ngaoundéré. Le désormais docteur Ndih Aimé Christian, plus connu sous le nom de Ndih Baba, a donc bien mérité sa mention très honorable du jury présidé par le Pr Carl Mbofung. «Vous connaissez l’histoire de l’Ensai qui est une figure de la science agroindustrielle ; elle a été construite pour soutenir l’agroindustrie camerounaise. Et nous sommes dans une région où se fait la production des bovins et de la viande. Pour valoriser les produits des bovins, nous avons décidé de mener une recherche sur comment améliorer le processus et la qualité de la viande qui provient de ces bovins. Je dirais que tout le monde connait le kilichi, mais avec l’apport de l’Ensai, ce produit suivra dorénavant le procédé que le nouveau docteur a mis sur pied. C’est un produit apprécié par tous et la touche qu’il apporte va le rendre international ; on pourra désormais l’exporter», a- t-il déclaré, l’ancien directeur de l’Ensai aussi.

La thèse sur les techniques de production du Kilichi dans les savanes du Nord-Cameroun, codirigé par les Professeurs Robert Ndjouenkeu et François-Xavier Etoa, viendra assurément révolutionner le processus de fabrication de cette denrée alimentaire séculaire. Mais bien plus, elle viendra donner du tonus au processus de labélisation de ce produit.
«Effectivement, la labélisation du kilichi est en cours ; le processus et même très avancé. Donc, les travaux du docteur Ndih donneront encore un coup de pouce pour qu’on puisse finaliser le processus qui a été enclenché il y a de cela quelques années», a fait savoir le Pr Carole Edima, membre du jury. Le kilichi, grâce à cette thèse, va davantage aller à la conquête du monde, comme le veut le Dr Ndih Baba. Mais le processus de fabrication moderne, bien au-delà de bannir les astuces traditionnelles, bien les améliorer. «Pour réduire les risques sur la sécurité de l’opérateur et la productivité du Kilichi, nous avons envisagé deux approches. La première étant de générer une pratique de déroulage qui n’est plus de dérouler de l’intérieur vers l’extérieur, mais plutôt de l’intérieur du morceau de viande par pans successifs. Pour réduire les risques et offrir un produit de meilleure qualité, on s’est dit qu’il faut maturer la viande, car la tendreté est construite au cours de sa maturation», a expliqué le Dr Ndih Baba. Reste à savoir si les producteurs de kilichi vont s’approprier cette méthode innovante, tant pour certains, elle est a priori coûteuse.
Dr Ndih Baba, enseignant-chercheur, expert métier du Kilichi
«Notre thèse peut faciliter la labélisation du kilichi du Cameroun»
Qu’est-ce qui vous a ins- piré de faire une thèse sur le kilichi ?
Nos travaux ont pour thème « Technique de production de kilichi dans les savanes du Nord-Cameroun ». En nous centrant sur le pratique du déroulage qui consiste à obtenir de fines lamelles de viande, on s’est rendu compte, après diagnostic, qu’elle est l’opération la plus contraignante. Cela a été perçu par la quasi-totalité des acteurs. Il était donc question de voir comment réduire cette contrainte, car à côté d’elle, il y a aussi le risque pour la sécurité de l’opérateur. Parfois, quand il déroule la viande, il se blesse ; ça peut impacter aussi la qualité hygiénique du produit. Or, le Kilichi est un produit identitaire, séculaire des populations nomades su Sahel. Cela a aussi un impact pécuniaire. On peut pourtant bien améliorer ce produit et le vendre. Nous nous sommes donc attelés à améliorer la pratique courante du déroulage. En effet, les opéra- teurs déroulaient la viande de l’intérieur vers l’extérieur du morceau. On s’est demandé pourquoi ne pas dérouler autrement ? Donc, pour réduire les risques sur la sécurité de l’opérateur et la productivité du Kilichi, nous avons envisagé deux approches. La première étant de générer une pratique de déroulage qui n’est plus de dérouler de l’intérieur vers l’extérieur, mais plutôt de l’intérieur du morceau de viande par pans successifs. Ça veut dire que l’on prend la viande désor- mais, on la divise jusqu’à l’épaisseur désirée et on déroule par pans ; c’est plus facile et plus rapide. Evidemment, le contact couteau tranchant avec la main est fortement réduit. Maintenant, on prend une planche à découpe sur laquelle on déroule la viande par pans, d’un côté comme de l’autre.
Les risques de blessure sont fortement réduits, mais pas totalement annihilés. On s’est dit : pourquoi ne pas arriver jusqu’au risque zéro ? Par rapport à cela, on s’est dit qu’il est technique- ment possible d’envisager de reconstituer les lamelles de viande par broyage de celle-ci. La viande étant déstructurée après ce hachage, on peut consolider cette phase en testant diffé- rents liants alimentaires qui permettent de stabiliser la phase.

Quel est votre procédé ?

Nous avons ainsi pensé à trois liants : la gélatine issue de l’opération de parage de notre viande, l’amidon de pomme de terre et à l’amidon de blé. Donc, nous avons testé ces différents et nous nous sommes rendus compte que le plus convenable était l’amidon de pomme de terre. Avec cet amidon, on arrivait à produire une phase et la laminer. Nous avons à cet effet monté un laminoir. On est arrivé à la conclusion qu’avec ce liant, il n’avait pas fissure quand on séchait. En outre, pour réduire les risques et offrir un produit de meilleure qualité, on s’est dit qu’il faut maturer la viande, car la tendreté est construite au cours de sa maturation. Donc, le passage du muscle à la viande se conçoit comme de la maturation ; il y a des enzimes, des endoprotéases qui vont induire une fragmentation des miofibrines, ce qui se traduit par l’augmentation de la tendreté en fonction du temps de maturation.
A vous écouter, avec le processus que vous déroulez, l’on s’achemine assurément vers une modernisation de la production du Kilichi…
Effectivement, c’est une modernisation et l’automatisation de la production du kilichi. Il y a déjà plusieurs opérations qui sont automatisables. Et on a instauré un séchage. Dans le procédé classique, on avait deux types de séchage : on prenait la viande qu’on déroulait et séchait.

Que pensez-vous que cela va apporter aux opérateurs de kilichi qui sont quand même habitués à leurs méthodes traditionnelles ?

Les deux innovations que nous apportons n’annulent pas leur procédé traditionnel, mais l’améliore plutôt. Les producteurs de kilichi ont un pro- blème : c’est la qualité de la viande. Cette viande est disputée par des restaurateurs, des consommateurs divers. Ils sont obligés de chercher les meil- leurs choix de carcasse, du quartier arrière, pour avoir des muscles nobles. Donc, avec notre technique, même si quelqu’un prélève un muscle du quartier avant, il peut le maturer et ainsi augmenter le niveau de tendreté de sa viande. Par notre deuxième technique innovante, même s’il a la viande de 3e catégorie, il peut procéder au hachage et produire ses lamelles de kilichi. Ça veut dire qu’à tout moment, on peut produire et on augmente la productivité du kilichi. Avec nos techniques innovantes, on réduit par trois le temps de déroulage de la viande. Par exemple, pour dérouler un kilogramme, un producteur peut mettre 30 à 40 minutes ; avec la technique de reconstitution des lamelles, on prend 10 secondes.
Entre modernisation de la production du kilichi et amé- lioration de la qualité de ce produit séculaire, les producteurs ont aussi l’épineux pro- blème de la structuration de leurs entreprises. Peut-on espérer, par vos travaux, avoir finalement des entreprises de kilichi normales ?
Cette question est véritablement la bienvenue parce qu’au-delà d’avoir fait une thèse sur le kilichi, je suis expert métier dans le domaine et expert en compagnonnage artisanal. En 2014, nous avons fait bénéficier aux producteurs de kilichi d’une formation sur le compagnonnage artisanal qui avait porté sur la viande, son traitement, la transformation en produits carnés. Donc, nous avons outillé ces opé- rateurs sur le problème de qualité d’hygiène d’abord. On sait que le kilichi a un autre problème et on s’est appesanti sur la technologie et sur l’amélioration de la qualité. On les a formés sur la démarche qualité et sur les comptes d’exploitation. Un opérateur peut ainsi savoir ce qu’il gagne et faire la différence entre la vente du kilichi et le bénéfice. Donc, tout au moins, on leur a appris la tenue des caisses. Ils ne peuvent pas faire le grand livre, le journal, mais ils peuvent minimalement distinguer le bénéfice du capital. Ils peuvent alors s’assurer s’il y a retour sur investis- sement ou pas. C’est une manière de vous indiquer que j’ai plusieurs casquettes : Expert métier, Investment-Officer dans le domaine financier. Présentement, j’ai été sollicité par l’Union européenne dans le cadre des dispositions d’appui pour la compétitivité du Cameroun au ministère de l’Economie, de la Planification et de l’Aménagement du territoire pour faire un guide bonnes pratiques dans le métier. Quand on parle des métiers du kilichi, ça commence par la viande parce qu’il y a son traitement, le traitement de l’animal avant l’abattage et après. Ensuite, il y a le devenir de cette viande jusqu’à ce qu’on arrive au dépiautage de l’animal, c’est-à-dire avoir sa robe pour être tannée.

Comment parvenir donc à une labélisation du kilichi et conforter son aura internationale ?

Le kilichi n’est pas encore labélisé ; nous avons encore à travailler. J’avais été coopté par le Cameroun, pour le code des normes des produits séchés. On a donc dans la thèse que nous avons soutenue, des éléments probants qui peuvent faciliter la démarche de la certification et de labélisation de notre kilichi. Tout au moins, nous voulons emprunter le même chemin que le poivre de Penja. Et c’est possible.

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