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[Théâtre] Abysses brise le silence de la mer


De ses séjours à Lampedusa, l’auteur italien Davide Enia a tiré Abysses, un texte puissant, qui sera mis en scène demain et samedi à l’Ariston par Alexandra Tobelaim.

Davide Enia, écrivain et dramaturge sicilien, s’est souvent rendu sur l’île de Lampedusa, qui vit au rythme des débarquements de migrants à bord de navires en provenance d’Afrique du Nord. Témoin de première main de la crise humanitaire qui s’y joue, Enia se souvient avoir «vu débarquer quelques milliers de personnes, rencontré le personnel de santé et les agents de la Garde côtière, mangé chez les résidents (de l’île), être sorti en mer avec les pêcheurs, avoir écouté les jeunes survivants et dialogué avec des témoins directs». Cette aventure humaine, vécue seul ou accompagné de son père, l’auteur y a consacré deux textes : Appunti per un naufragio («Carnet de notes sur un naufrage», 2017, traduit en français sous le titre La Loi de la mer), entre roman et essai, et le texte théâtral L’abisso, qui lui vaudra le prix Ubu (la plus importante récompense pour le théâtre en Italie) du meilleur texte en langue italienne.

Quand elle a pris, en janvier 2020, la direction du NEST, Alexandra Tobelaim avait prévu de monter en novembre de la même année sa première création pour le Centre dramatique de Thionville, Abysses. Au plateau nu, habité seulement d’un comédien, Solal Bouloudnine, et d’une musicienne, Claire Vailler. Tout un symbole, dix ans après la rencontre d’Alexandra Tobelaim et de son comédien, autour, déjà, d’un texte de Davide Enia.

Quête de l’indicible

Mis en scène par Alexandra Tobelaim, Italie-Brésil 3 à 2 a été «joué plus de 160 fois pendant six ans», de 2012 à 2018. «Au mois d’octobre» qui a suivi la dernière représentation, «le traducteur, Olivier Favier, m’a envoyé le nouveau texte de Davide», celui écrit pour la scène sur Lampedusa. «Un texte très court mais très fort», «éminemment théâtral», dit-elle, dans lequel l’auteur «met des mots sur la complexité de l’humain dans ce rapport aux migrants». La metteuse en scène s’est ainsi donné pour mission de «donner chair aux mots».

Un texte très court mais très fort, éminemment théâtral

Ainsi, un fils et son père. En Sicile, on reste généralement taiseux, mais le premier cherche néanmoins à comprendre le silence du second. Que l’auteur évoque ses drames familiaux ou la tragédie des migrants, Abysses est une quête de l’indicible. Dans cette «mosaïque d’instantanés» capturés sur l’île, «tout s’entremêle» : les nouvelles de l’oncle atteint d’un cancer, les rencontres avec les sauveteurs qui repêchent les corps de migrants dans la Méditerranée, ou encore le récit de Vincenzo, le fossoyeur de l’île, «qui ne peut se résoudre à ne laisser aucune trace de ces vies, malgré la quantité de corps à enterrer».

«Rencontres, fidélités, urgences»

Selon la metteuse en scène, le projet s’est articulé autour de trois notions : «des rencontres, des fidélités et des urgences». Abysses est un «double je(u)», tel qu’elle l’écrit, qui opère à plusieurs niveaux : outre les deux récits qui, superposés, forment le texte, il y a «le plaisir des retrouvailles avec les protagonistes d’Italie-Brésil 3 à 2, c’est-à-dire la famille de Davide», toujours mise en voix par Solal Bouloudnine, «un conteur hors pair». Au trio auteur-metteuse en scène-comédien s’ajoute une nouvelle venue, Claire Vailler, qui illustre la dramaturgie à l’aide de chants traditionnels siciliens ou italiens. Une véritable «présence onirique» en fond de scène : la musique «permet de laisser échapper des choses».

Quant aux urgences, elles sont évidentes. La mise en pause de la création, pour cause de pandémie, la rend d’ailleurs «toujours plus urgente aujourd’hui». Présentée devant un «vrai» public au printemps 2022, pour une tournée reconstruite – des représentations strictement réservées aux professionnels ont pu se jouer auparavant –, Abysses, finalement jouée au NEST en mai dernier, arrive pour deux représentations au théâtre d’Esch. L’année 2023 a vu arriver plus de 155 000 migrants en Italie, principalement à Lampedusa – une année record, du jamais vu depuis 2016, selon les autorités italiennes.

La pièce

Aujourd’hui, un père et un fils regardent l’histoire se dérouler sous leurs yeux, sur un rivage en Italie, dans l’immensité de la Méditerranée. Abysses est le récit de la fragilité de la vie et des choses, où l’expérience de la douleur collective rencontre celle, intime, du rapprochement entre deux êtres. Il en résulte une expérience humaine rendue dans toute sa complexité, une décharge d’énergie et de courage.

Demain et samedi, à 20 h.
Ariston – Esch-sur-Alzette.



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