Cameroun

«Pour enfin s’émanciper stratégiquement, l’Afrique doit sortir de la géostratégie de bistrot », Pr Alain Fogue


Pour enfin s’émanciper stratégiquement, l’Afrique doit sortir de la géostratégie de bistrot ambiante qui fausse sa compréhension des enjeux qui structurent la marche du monde.

La seule définition de la géostratégie que de nombreux Africains convoquent imprudemment, par ces temps de frustrations extrêmes sur leurs conditions de vie et d’inquiétudes compréhensibles pour l’avenir, aurait suffit à sortir les populations africaines de leur colère anti-occidentale et de leur naïf amour pour des systèmes autoritaires et totalitaires presqu’exclusivement non occidentaux. En effet, en raison de l’essence même de cette notion, il ne peut y avoir de projet géostratégique généreux. Or tout État stratégiquement émancipé est nécessairement porteur d’un projet géostratégique. Contrairement aux naïves pensées qui alimentent le rejet actuel de l’Occident en Afrique, sur fond de panafricainisme frelaté, et en pleine contradiction avec le panafricainisme qui se dégage de l’Acte constitutif de l’Union Africaine. Un panafricanisme intentionnellement pollué par des « Influenceurs » à l’analphabétisme géostratégique évident et à la solde de la propagande russe. Ces fameux « Influenceurs » sont généralement très attachés aux joies de vivre dans des démocraties et n’hésitent pas, quelquefois, à engager des procès pour ne pas se faire expulser de leurs pays d’accueil situés en Occident, qu’ils enseignent pourtant aux populations africaines à détester. Tout comme les dictateurs africains qui, eux aussi, manipulent les foules pour rendre l’Occident responsable de toutes leurs défaillances, mais qui placent l’essentiel du fruit de leur colossale fortune, généralement tirée de la corruption et des détournements massifs de fonds publics, dans les pays occidentaux et non à Moscou ou à Pékin. Ces mêmes dirigeants hostiles, en apparence, à l’ingérence des occidentaux mais qui se font généralement évacuer en cas de maladie dans les pays occidentaux plutôt que dans les puissances rivales de l’Occident en Afrique.

Les puissances coloniales européennes, devenues anciennes puissances coloniales, et plus généralement les puissances occidentales ont en commun d’être stratégiquement émancipées. Ce qui n’est pas le cas de leurs partenaires africains qui, malgré la convocation de circonstances liées au néocolonialisme et qui engageraient la responsabilité des anciennes puissances coloniales, sont les vrais coupables de la perpétuation, plus de 60 ans après des indépendances en trompe-l’œil, de la cécité stratégique programmée de l’État postcolonial.

Les puissances occidentales que les   populations africaines considèrent, par ignorance géostratégique, unies par une communauté d’intérêt, sont, naturellement rivales entre elles en Occident, sur le continent africain et partout dans le monde. Cette rivalité est le résultat indéniable de leur maturité géostratégique établie et surtout éprouvée. La seule chose qu’elles partagent sans arbitrage préalable, c’est leur attachement aux valeurs démocratiques. Et encore, si ces valeurs démocratiques sont totalement appliquées sur leurs territoires, elles sont pondérées par des enjeux géostratégiques en dehors des frontières de la puissance occidentale considérée. C’est vrai que cette complexité trouble et rend encore plus furieuses les populations africaines. Notamment, quand par exemple la démocratie française soutien de façon arrogante le putsch constitutionnel de Mahamat Deby Itno au Tchad. Ou quand elle porte à bout de bras, et contre la volonté des populations, le régime paresseux, violent et autoritaire du président de la république Paul Biya.

Ce dernier, âgé de plus de 90 ans dans un pays où la moyenne d’âge est de 18 ans et demi, est au pouvoir depuis 41 ans sans discontinuer. Ceci, grâce aux fraudes électorales massives et sauvages et à la terreur. Mieux, le président Paul Biya dont la longévité aux affaires doit figurer au livre Guinness des records est au cœur des arcanes du pouvoir depuis 1962. Il y a gravi tous les échelons avant de se voir offrir la présidence de la république par Paris, à travers son prédécesseur, quoiqu’à « l’insu du plein gré » de ce dernier.

Année après année, le président Biya et son parti, le Rdpc, obtiennent des résultats électoraux qui ne reflètent ni leur capacité à adresser les graves crises qu’ils ont générées par leur incompétence et corruption systémiques, ni l’espoir qu’ils pourraient représenter pour une jeunesse en détresse.

Même l’observateur étranger le plus distrait ou lointain – ce qui n’est pas le cas de Paris – sait que ce régime, chroniquement incapable de développer le pays, ne produit plus que du désespoir sur une jeunesse en déprime profonde.

Pourtant, M. Biya et son clan, qui ne tolèrent pas la simple évocation du bilan du détricotage économique et moral du pays dont ils avaient hérité alors que tous les indicateurs étaient, disaient-ils, au vert, prétendent jouir de la légitimité politique nécessaire pour formuler un nouveau projet pour le septennat à venir.

Ainsi troublées, les populations africaines dénient, une fois de plus naïvement, aux puissances étrangères non-occidentales tout projet géostratégique conforme à l’essence même de la géostratégie. Dans leur volonté fiévreuse de renvoyer l’Occident hors de leur continent, elles se sont convaincues sans appel à une quelconque science que les puissances rivales de l’Occident auraient un projet géostratégique renversé pour leurs pays. Le projet géostratégique renversé s’entend comme un projet géostratégique généreux par essence, fondé sur des sentiments de charité et de bienveillance. En réalité, il s’agit, en un mot comme en mille, d’un projet géostratégique contre nature.

D’où les appels au secours lancés de façon tonitruante et naïve aux puissances autoritaires et totalitaires rivales de l’Occident.

Si on peut, en partie, demander des comptes aux démocraties occidentales sur le désastre que connaît l’Afrique aujourd’hui, c’est simplement parce qu’elles se sont, pour des considérations géostratégiques, toujours placées aux côtés des régimes autoritaires et des dirigeants politiques africains corrompus et contre lesquels les peuples ont quelque fois lancé des assauts pour leur émancipation.

Cependant, à la vérité, les populations africaines sont aussi coupables d’être souvent, autant que les démocraties occidentales qui sont blâmables, les premiers soutiens de leurs bourreaux de dirigeants.

Elles le sont pour des considérations viles, tribalistes, ethniques, communautaires, religieuses, etc. Bref, pour des raisons illogiques au regard du bonheur à l’occidental dont elles rêvent. C’est l’explication majeure de leur idylle folle avec les régimes forts issus des coups d’État. Alors que dans le même temps, elles revendiquent vigoureusement le droit au plein exercice de leurs droits civils et politiques et le pouvoir souverain de sanctionner leurs dirigeants par les urnes, y compris si d’aventure ils étaient en complicité avec les puissances occidentales pour les spolier de leurs richesses.

En définitive, seule une émancipation stratégique des États africains, des dirigeants et des élites peut permettre à ce continent de s’extirper de sa nervosité contre productive contre l’Occident. De façon froide, à vrai dire, que reprochent les populations africaines à l’Occident en dehors de son sens aigu de la défense ferme de ses intérêts?

Celles-ci doivent, sans pour autant décorer l’Occident de défendre ses intérêts en Afrique y compris en agissant contre leur désir de s’affranchir des régimes autoritaires et corrompus qui les écrasent, d’abord s’attaquer à leurs dirigeants autocratiques et surtout accepter d’en payer le prix. Les africains doivent savoir que l’Occident, dont ils rêvent à haute voix d’avoir la qualité de vie même sans partager tous les aspects culturels autant qu’ils la détestent en ce moment où ils sont face aux errements politiques de leurs dirigeants, est le résultat d’importants sacrifices des peuples contre leurs dirigeants.

Les Africains peuvent-ils faire exception en accédant à leur émancipation sans livrer bataille et surtout sans vaincre les dirigeants autocrates et corrompus prêts à toute alliance, y compris contre leurs peuples, pour conserver le pouvoir pour eux-mêmes, leurs familles et clans ? Il est difficile d’y répondre par l’affirmative. En effet, les africains ne peuvent ni échapper ni sous- traiter, même pas aux puissances étrangères non occidentales dont ils espèrent qu’elles soient généreuses et donc pas conquérantes, la bataille pour l’émancipation en ce sens qu’elle est d’abord une lutte pour arracher le droit à leurs dirigeants d’être tout simplement le peuple souverain. Pour mener les africains au résultat logiquement escompté, cette lutte doit être expurgée des maux qui minent la reconnaissance de la compétence dans les sociétés africaines. Au nombre de ceux-ci figurent principalement l’ethnicisme, le tribalisme, et plusieurs autres clivages sociaux. Ils sont des facteurs explicatifs de cette paradoxale réalité qui donne à observer que lors de compétitions électorales, l’électeur, qui généralement a souffert durant le mandat du pouvoir sortant, se mente à lui même en votant ou en vendant sa voix pour deux sous à des dirigeants qu’il sait pourtant incompétents et corrompus.

Parallèlement à cette introspection sociale et politique nécessaire et impérative que les Africains doivent s’imposer par eux-mêmes, l’Occident, qui n’est pas innocent dans la misère sociale qui place la jeunesse dans la déprime actuelle, doit de son côté soumettre ses actions en terre africaine à une évaluation critique. C’est l’unique condition pour elle de ne pas perdre l’Afrique et ne pas la voir se perdre

Dans une démarche concurrentielle que lui impose un contexte de rivalités géostratégiques inouïes, l’Occident, les démocraties occidentales gagneraient à vendre aux Africains et à l’Afrique la démocratie. La vraie, la même qui est pratiquée dans leurs sociétés où la liberté et l’État de droit sont les ferments de l’épanouissement économique et du bien-être être qui attirent tant la jeunesse africaine.

C’est avec ce produit d’appel que le projet géostratégique des pays occidentaux ne sera plus vu comme hostile par des populations africaines en détresse.

C’est donc avec ce qu’elle a et qui fait défaut à ses rivaux, la démocratie, que l’Occident peut damer le pion à la concurrence.

Des rivaux qui, sans vraiment constituer un offre alternative crédible pour le développement harmonieux de l’Afrique, traînent le lourd handicap politique d’être portés par des régimes autoritaires et totalitaires desquels justement la jeunesse africaine veut échapper à tous les prix. Afin de se convaincre de l’impertinence, voire de la dangerosité, de l’offre de certains partenaires de l’Afrique, il suffit d’évoquer les dérives aux conséquences graves de l’offensive de la Chine sur le continent telles le surendettement, la corruption endémique, l’opacité des contrats, les prêts gagés sur les ressources, (minerais, pétrole, forêts, sol et sous sol, infrastructures stratégiques), la qualité de l’exécution de grands travaux, l’immigration d’ouvriers parmi lesquels des prisonniers, les nombreux éléphants blancs qui jalonnent tant de pays africains, etc.

Le caractère autoritaire et totalitaire des principales puissances rivales de l’Occident en Afrique confère aux pays occidentaux un avantage politique comparatif qu’il leur appartient de bien exploiter pour construire une alliance stratégique nouvelle avec des populations africaines qui désormais sont des citoyens du monde.

Dans cette perspective, la France et son président Emmanuel Macron sont attendus au tournant ; si l’on considère la faute diplomatique historique qui a conduit à la malheureuse validation du coup d’État constitutionnel de Mahamat Deby, le fils de l’autre. Plusieurs dossiers pourraient alors permettre de tester la bonne disposition de la France notamment le coup d’État constitutionnel en cours en Centrafrique, la volonté non masquée d’Ali Bongo de conserver encore le pouvoir en usant de fraudes, ou le projet de succession héréditaire auquel rêvent certains à la tête du Cameroun.

Cela est d’autant plus déterminant pour l’avenir de la France en Afrique qu’au Cameroun comme ailleurs, les régimes politiques d’Afrique francophone décidés à rester au pouvoir brillent par leur incapacité à apporter le développement. Si l’on s’en tient au cas précis du Cameroun, on constate que le régime de M. Biya se particularise par l’ampleur de son échec, l’incompétence qui l’a caractérisé, son enlisement dans divers scandales financiers importants et dans la corruption. 8674 milliards de Francs CFA de fonds publics détournés entre 1997 et 2021, soit 316,43 milliards de Francs CFA détournés chaque année depuis 24 ans ! C’est surtout un régime qui malgré ses résultats électoraux à la soviétique est largement rejeté par les populations qui le subissent au quotidien. *Elles* subissent ce régime dans la quasi indifférence d’un président de la république qui brille par ses absences et silences. Ses absences dans la gestion politique des affaires, y compris des urgences ; mais aussi ses nombreuses absences du pays pour des séjours privés et en famille dans un grand hôtel Genevois aux frais du contribuable.

Il ne fait donc point de doute qu’un soutien de la France à un nouveau mandat du président le plus âgé au monde et de l’histoire, dont le dernier conseil de ministre qu’il a présidé dans un pays quasiment à l’abandon remonte au 16 janvier 2019 soit à bientôt 5 ans ,

ou à l’accession au pouvoir de son fils, Franck Emmanuel Biya dans le cadre d’une succession héréditaire comme au Tchad, serait un très mauvais signal à la population camerounaise, et africaine, en quête de changement.

Ceci d’autant que, ce Grand Fils à Papa est un

authentique ovni politique à la trajectoire académique mystérieuse, et aux parcours social et professionnel plutôt chahutés par des allégations diverses.

Pr. Alain Fogue Tedom





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