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PMA pour les lesbiennes : «On a la chance de pouvoir fonder une famille, il manque juste la loi»


Alors que le Luxembourg célèbre les fiertés avec la Pride Week – jusqu’au 10 juillet à Esch-sur-Alzette –, des lesbiennes se confient sur leur parentalité et les difficultés auxquelles elles sont confrontées. Sans cadre légal sur la PMA, certaines de ces mamans ne sont, en effet, pas reconnues comme telles.

Si la PMA (procréation médicalement assistée) est pratiquée au Luxembourg et ouverte aux couples lesbiens depuis 2005, une montagne de questions juridiques et éthiques restent toujours en suspens, dans l’attente d’un cadre légal.

Un flou qui place les familles dans des situations parfois très difficiles, certaines de ces mères se retrouvant privées de tout droit, des plus basiques – s’absenter du travail lorsque leur enfant est malade, voyager seule avec lui – aux plus essentiels – prendre des décisions pour sa santé ou sa scolarité, obtenir un droit de garde en cas de séparation ou de décès de l’autre parent.

Trois couples nous ont ouvert les portes de leur nid, pour évoquer ce parcours semé d’obstacles jusqu’au plus humain des vœux : fonder une famille.

Le Luxembourg, un pays ouvert aux droits LGBTIQ+

En matière de droits LGBTIQ+, le Luxembourg est l’un des pays les plus ouverts, au 5e rang du «Rainbow index» de l’ILGA, qui compare les politiques publiques de 49 pays.

C’est d’ailleurs ce qui a incité Hélène, 32 ans, à rejoindre son amoureuse au Grand-Duché en 2018, un an après leur coup de foudre, alors que son pays, la France, interdisait encore l’accès à la PMA aux lesbiennes : «Avec Weronika, on a rapidement compris qu’entre nous c’était du sérieux, et on avait très envie de devenir mamans», raconte-t-elle, les mains posées sur son ventre rebondi.

Car les deux jeunes femmes attendent le plus heureux des événements : un premier bébé pour le mois d’août, après un parcours de PMA entamé fin 2020 en Belgique, les délais s’étant rallongés au Luxembourg pendant la pandémie.

«On nous annonçait huit mois d’attente pour un premier rendez-vous. À Bruxelles, ils avaient plus de disponibilités : après avoir reçu le feu vert de la CNS, on a signé le contrat avec la clinique en mars 2021», explique Hélène.

100 à 2 000 euros pour les paillettes

Un processus remboursé par l’assurance-maladie, tout comme le suivi de la grossesse : seules les paillettes – forme sous laquelle sont vendus les dons de sperme – restent à la charge des couples. Un coût qui varie de 100 à 2 000 euros en fonction de différents critères – motilité, qualité, donneur anonyme ou non – et aussi du nombre d’essais nécessaires pour tomber enceinte.

Hélène et Weronika, qui avaient opté pour une FIV (fécondation in vitro), ont vu le test de grossesse se révéler positif très rapidement. Une émotion particulière pour Weronika, 31 ans, qui a dû fuir sa Pologne natale pour espérer un jour devenir maman : «Je savais que j’aurais des enfants et que je devrais partir pour ça. Ça me brise le cœur que mon pays ne m’autorise pas à être qui je suis», soupire-t-elle.

Sonia et Angelica (à droite), très attachées à leur famille, s’apprêtent désormais à créer la leur (Photo : Julien Garroy)

Sonia, 34 ans, a quant à elle toujours vécu au Luxembourg et se réjouit d’avoir pu évoluer dans un climat bienveillant et de ne jamais avoir été exclue parce que lesbienne.

Avec sa compagne Angelica, d’origine suédoise, elles ont décidé de se lancer en début d’année et ont déjà franchi plusieurs étapes du parcours de PMA au CHL.

 C’est elle qui va porter leur enfant et, à 38 ans, elle ne voulait plus attendre : «L’horloge tourne!», sourit-elle. «J’ai toujours voulu une famille. Si je n’avais pas trouvé la bonne personne, j’aurais fait la demande en tant que célibataire», confie la jeune femme, impatiente de donner des petits-enfants à ses parents dont elle est très proche.

Les papiers nécessaires sont remplis et les futures mamans ont déjà rencontré une psychologue, passage obligé, mais utile selon elles : «Ce n’est pas un contrôle comme on pourrait se l’imaginer», clarifie d’emblée Sonia. «C’est plus un moment pour poser nos questions, parler de nous, de notre propre relation à nos parents, et aussi discuter de choses très concrètes, comme la façon dont notre enfant va nous nommer», détaille-t-elle.

Choisir un donneur sur catalogue : «C’est vraiment bizarre»

Désormais, il leur faut choisir un donneur, et la méthode a de quoi dérouter : contrairement à d’autres pays, où la clinique se charge de cette étape, le Luxembourg confie cette tâche directement aux futurs parents. «On se rend sur un site qui présente tout un catalogue d’hommes, identifiés ou non, qui proposent leurs gamètes à la vente. Au début, c’est vraiment bizarre», reconnaît le couple.

Ce site, c’est celui de Cryos, la banque de sperme avec laquelle travaille le CHL, située au Danemark. Des centaines de profils sont disponibles en ligne, et les donneurs – des étudiants cherchant à arrondir leurs fins de mois pour la plupart – peuvent ajouter photos, enregistrement vocal, lettre manuscrite et divers commentaires, comme leur film préféré ou leur meilleur souvenir d’enfance.

«On se base sur notre ressenti et sur ce qu’ils écrivent : ceux qui pensent à l’enfant et s’adressent à lui directement nous touchent davantage», précise Sonia.

«Je sais à quel point le lien génétique importe peu»

Mais au-delà de la couleur des yeux ou des cheveux du donneur, un choix bien plus crucial s’opère ici : opter pour un donneur anonyme ou bien identifié, permettant plus tard à leur enfant de savoir qui est son géniteur?

Pour Sonia, qui n’a pas connu son père biologique avant l’adolescence, c’était évident : «Je tiens beaucoup à ce que notre enfant puisse accéder à ces informations car je sais ce que c’est de vivre avec un tas de questions sans réponse», décrit-elle.

«Mais je sais aussi à quel point le lien génétique importe peu : mon beau-père m’a adoptée et élevée comme sa fille. Mon père, c’est lui.»

Un projet de loi pour lever le secret

Un choix qui sera bientôt fait d’office puisque le projet de loi 7674, porté par la ministre de la Justice, Sam Tanson, prévoit la levée du secret sur les origines, et l’obligation, pour les couples ayant recours à une PMA, d’indiquer l’identité du donneur tiers. Une mesure qui divise la communauté LGBTIQ+, certains parents y voyant une incursion du gouvernement dans leur vie privée.

Pour Weronika et Hélène, cela va dans le bon sens, et elles espèrent bien que la Belgique, où le don est anonyme, suivra dans les années à venir : «Ce n’est pas à nous de choisir, mais à notre enfant», explique Weronika. «Nous pensons qu’il est important de lui permettre d’accéder, s’il le souhaite, aux informations concernant sa conception.»

La Luxembourg Pride Week s’achèvera ce week-end avec une marche pour l’égalité et une série de concerts à Esch-sur-Alzette (Photo : archive/le quotidien)

«C’est une injustice complète»

Mais par-dessus tout, ce qu’attendent aujourd’hui ces familles, c’est un cadre législatif qui régisse la PMA et autorise enfin le deuxième parent à être reconnu comme tel dès le premier jour de vie de l’enfant.

Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, seule la mère biologique figurant sur l’acte de naissance : «C’est une injustice complète», se désole Sonia, qui devra attendre trois mois minimum avant de pouvoir lancer une procédure d’adoption coûteuse, auprès d’un avocat, pour devenir officiellement la mère de son bébé.

«Mon nom figure pourtant dès le départ sur l’ensemble des documents du parcours de PMA», fait-elle remarquer, insistant sur les conséquences, qui dépassent la seule privation du congé de deux semaines accordé aux papas pour une naissance.

«J’aurais aimé être sa mère dès le premier jour»

«Ça me stresse beaucoup. Bien sûr, on ne veut jamais penser au pire, mais qu’arriverait-il en cas de complication à l’accouchement ou face à une situation grave avec le bébé? Je n’aurais pas mon mot à dire», note-t-elle, affirmant que cela crée de l’anxiété inutile. «J’aurais aimé être sa mère dès le premier jour.»

Si Sonia, de nationalité luxembourgeoise, devra patienter quelques mois avant de devenir maman aux yeux de l’état civil, la situation est plus dramatique pour Weronika, dont le pays natal ne reconnaît aucun droit aux couples de même ****. Or, en matière d’adoption au Luxembourg, c’est la législation de l’État d’origine qui s’applique.

Une nouvelle qui a dévasté le couple : «On s’était renseignées en ligne sur l’adoption, mais les informations ne mentionnaient pas que les dispositions sont différentes pour les couples bi-nationaux», s’agace Hélène. «On l’a su par le bouche-à-oreille.»

«On s’est senties discriminées»

Les épouses sollicitent alors l’aide d’un avocat : «On a patienté un mois entier, pleines d’espoir, pour qu’il nous dise finalement qu’il n’y avait rien à faire, et que c’était 2 000 euros si on souhaitait poursuivre les investigations», rapporte Weronika. «Une véritable douche froide. La première fois qu’on s’est senties discriminées», observe le couple.

La future maman mise à l’écart relève que tout cela est méconnu du grand public : «Mes collègues ont été vraiment choqués d’apprendre que je n’aurai aucun droit par rapport à mon enfant. Quand un jeune papa de mon service a bénéficié de deux semaines de congés à la naissance de son fils, ma cheffe a pensé qu’il en serait de même pour moi», indique Weronika.

«Elle va être mère elle aussi, et elle cotise. Mais seulement pour les autres. Elle n’y a pas droit», déplore Hélène, qui espère voir la loi changer au plus vite, avec rétroactivité.

Un vide juridique aux conséquences lourdes

«On a la chance de pouvoir fonder une famille, il manque juste la loi», résume-t-elle. «Les politiques doivent être conscients que ce vide juridique, qui dure depuis des années, a de lourdes conséquences.» La non-reconnaissance automatique du deuxième parent est d’ailleurs citée chaque année par l’ILGA comme le point principal à améliorer au Grand-Duché en matière de droits LGBTIQ+.

En attendant, l’un des seuls moyens pour Weronika d’être reconnue comme la mère de son enfant serait d’acquérir la nationalité luxembourgeoise – qui requiert au moins cinq ans de résidence sur le territoire – et de lancer ensuite une procédure d’adoption.

Lien avec l’enfant : «aucun»

Pour Sylvie, 34 ans, et Nadine, 40 ans, toutes deux Luxembourgeoises et heureuses mamans de trois enfants, les choses ont été plus simples. «En 2012, quand on a voulu notre premier bébé, on a contacté des cliniques privées à l’étranger et ce sont elles qui nous ont dit que la PMA était ouverte aux couples de femmes au Luxembourg», se souvient Sylvie. «On n’avait même pas eu l’idée de demander!»

C’est Nadine qui a accouché de leur première fille, aujourd’hui âgée de huit ans. Sylvie, elle, figure bien sur l’acte de naissance de la petite, mais en tant que déclarant. Et à la ligne «lien avec l’enfant», il est écrit «aucun».

Pour adopter nos enfants, on a dû débourser 5000 euros

«Pour l’adopter, il fallait être mariées, mais en 2014, cela ne nous était pas permis», raconte cette maman, qui a fait des pieds et des mains auprès de la commune pour organiser la cérémonie dès que possible : «Le mariage pour tous a été autorisé le 1er janvier 2015 et nous nous sommes dit oui le 16», explique le couple.

L’adoption suivra quelques mois plus tard, sans difficulté. Une procédure qui a un coût : «Au total, pour adopter nos trois enfants, on a dû débourser 5 000 euros. Nous, on a pu, mais les autres? Il y a des inégalités», déplore Sylvie.

«On leur explique qu’un ‘papa’ nous a aidées à devenir mamans»

Depuis toujours, elles parlent de leur histoire à leurs enfants. Ce n’est pas un tabou : «On ne dit pas « donneur » parce qu’ils sont encore petits, mais on leur explique qu’ils ont bien un « papa » qui se trouve au Danemark et qui nous a aidées à devenir leurs mamans», précise-t-elle, ajoutant qu’elles s’appuient aussi sur des livres.

Et face aux copains qui soutiennent que, «c’est pas possible d’avoir deux mamans», elles ont trouvé la parade : «On leur dit simplement qu’on ne leur a pas encore appris qu’il existe différentes formes de familles», ajoute Sylvie.

Ce donneur, les enfants pourront le connaître plus tard s’ils le souhaitent, le couple ayant sélectionné un donneur non anonyme : «C’était évident pour nous», lance Nadine. «On ne pouvait pas leur enlever la possibilité de connaître leurs origines.»


PMA : TROIS TEXTES DE LOI EN COURS

Les travaux parlementaires sur le projet de loi 7674 permettant l’accès aux origines, déposé en 2020, se poursuivent toujours.

Idem pour les deux textes relatifs à la PMA : la proposition de loi 6797, déposée par l’ADR en 2015, visant à réserver la PMA aux seuls couples hétérosexuels et mariés, et le projet de loi 6568, déposé en 2013 par le gouvernement, visant à garantir l’accès à la PMA pour tous, couples de même **** inclus, mariés ou non.

«Le Luxembourg fait figure d’exception en Europe puisqu’aucune loi ne régit la PMA et, pour autant, elle se pratique, y compris avec don de gamètes et pour les couples de même ****», souligne Jordane Segura, chercheuse en droit au LISER.

Le projet de loi gouvernemental prévoit la création d’un nouvel acte d’état civil, sur la base de la convention médicale établie lors du parcours de PMA : nommé «acte de parentalité», ce document serait l’équivalent d’un acte de naissance et établirait la filiation de l’enfant, ouvrant enfin la voie à la reconnaissance automatique du deuxième parent pour les couples lesbiens, y compris les bi-nationaux.

Un espoir pour les familles «arc-en-ciel»

«Si le texte était adopté dans sa forme actuelle, une convention médicale conforme au droit luxembourgeois suffirait pour dresser l’acte de parentalité», détaille Jordane Segura.

Une mesure qui permettrait de ne plus avoir à adopter son enfant et qui serait rétroactive : «Le texte mentionne bien que ces dispositions s’appliqueraient à tout enfant, né avant ou après l’entrée en vigueur de la loi», ajoute-t-elle.

Un véritable espoir pour ces familles «arc-en-ciel» qui attendent cette loi, promise dans l’accord de coalition 2018-2023, depuis des années.



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