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Luc Frieden : «Le changement s’impose»


Tête de liste du Parti chrétien-social, Luc Frieden se dit convaincu que le programme et le changement de style de son parti vont ouvrir la voie à un retour au gouvernement, après dix années passées dans l’opposition. Les ambitions sont importantes.

Ce sont dix priorités que le CSV met en avant pour convaincre les électeurs de lui confier les responsabilités gouvernementales.

Le CSV promet aux électeurs de mener une « nouvelle politique ». Pour y parvenir, le parti mise pourtant sur un vieux visage de la politique nationale. Ne s’agit-il pas d’un paradoxe?

Luc Frieden : Non. Nous estimons que le changement s’impose pour deux raisons. Un, parce que sur bon nombre de sujets importants, la politique du gouvernement actuel bleu-rouge-vert n’a pas abouti aux résultats escomptés. Et deux, il faut une autre politique que celle qui a été menée au cours des dernières décennies. C’est cela l’essence de notre slogan, et mon expérience, tant dans le privé qu’au gouvernement, permettra de mener cette nouvelle politique.

Le CSV s’efforce de vous donner une image plus jeune et dynamique. Cette stratégie peut-elle s’avérer payante?

J’aime bien cet aspect un peu plus jeune, je dirais plus américain, des campagnes électorales. J’ai souhaité rajeunir un peu l’image du parti et des campagnes qu’il mène. Ceci étant dit, il s’agit d’un travail d’équipe et nous avons estimé ensemble que cette cure de jeunesse reflétait mieux le CSV de 2023 que le CSV du passé.

Dans quels domaines le pays a-t-il besoin de cette nouvelle politique prônée par le CSV?

Il s’agit des domaines où cette coalition n’a pas réussi à développer une politique commune. J’en veux pour preuves le logement, le pouvoir d’achat et la santé, pour me limiter à trois sujets. Sur le logement, la politique menée n’a pas réussi à résoudre le problème. Au contraire, la crise du logement s’est accentuée. En matière de pouvoir d’achat, les trois partis de la coalition ne sont pas tombés d’accord sur une réforme fiscale, puisque chacun tire dans une autre direction. Et en matière de santé, tout récemment encore, le DP a voté en faveur du projet de loi sur le virage ambulatoire, tout en clamant qu’il n’était pas d’accord avec l’orientation de ce texte. Ces trois exemples – et la liste n’est certainement pas exhaustive – démontrent le besoin de mener une autre politique.

L’ancien Premier ministre chrétien-social Jean-Claude Juncker avait lui-même émis un constat d’échec dans la politique du logement. Sachant que le CSV a dirigé pendant des décennies le ministère du Logement, pourquoi faudrait-il aujourd’hui vous faire confiance pour s’attaquer à ce problème?

Parce que durant ces dix dernières années, le prix du logement a doublé. C’est inédit. La population, au cours de la dernière décennie, s’est accrue d’environ 150 000 personnes. Cette évolution nous force à mener une autre politique. Cela signifie notamment qu’il faut construire plus vite à l’intérieur du périmètre de construction, sans demander des mesures compensatoires écologiques. Il faut également réduire la fiscalité pour encourager les gens à investir à nouveau dans la pierre. Et, à l’intérieur des agglomérations, il faut ajouter un ou deux étages à certains immeubles pour mieux utiliser le terrain disponible. Il s’agit de mesures qui ne sont pas trop difficiles à mettre en place et qui nous permettront d’avancer pour résoudre la crise du logement. Cette crise constitue le plus grand risque en termes de cohésion sociale dans les années à venir.

«La crise du logement constitue le plus grand risque en termes de cohésion sociale dans les années à venir», met en garde Luc Frieden, décidé à inverser la vapeur. Photos : fabrizio pizzolante

Votre annonce d’une réduction des impôts pour tout le monde a fait grand bruit. Pratiquement tous les autres partis en lice pour les législatives estiment qu’une telle mesure n’est ni souhaitable ni réalisable. Est-ce que vous maintenez quand même cette idée?

Si on commence l’imposition à un niveau de revenu plus élevé, forcément tout le monde paiera moins d’impôts. Nous plaidons en outre pour qu’il y ait une adaptation régulière du barème d’imposition à l’inflation. Cela profitera également à tout le monde. Je constate d’ailleurs que d’autres partis revendiquent la même chose. Les impôts ont augmenté continuellement au cours des dix dernières années. D’abord, la TVA, ensuite l’impôt sur le revenu et la retenue à la source sur les intérêts. Or, face à la crise du logement et au renchérissement de la vie quotidienne, il faut que leur travail permette aux gens de ramener plus d’argent à la maison. Cette réforme fiscale a pour objectif de permettre aux gens de mieux vivre.

Il faut voir la politique fiscale dans son ensemble, et pas seulement l’impôt payé par l’un ou par l’autre

Votre argument selon lequel un cadre fiscal plus attractif stimulera la croissance économique du pays, avec à la clé plus de recettes pour l’État, est également fortement contesté. Votre concept est-il vraiment viable en sachant que les finances publiques ont lourdement souffert des crises successives du covid et de la guerre contre l’Ukraine?

Il est évident que si l’on encourage les gens à consommer et à investir, cela profite aux PME et à l’économie en général, et, donc, en deuxième lieu à l’État qui, grâce au surcroît d’activité économique, engrangera plus de recettes fiscales. Le but premier de cette baisse des impôts est d’augmenter le pouvoir d’achat des gens. Le deuxième objectif est d’encourager la transformation écologique du pays, tant pour les citoyens que pour les entreprises. Baisser, par exemple, la TVA sur les rénovations écologiques profitera à l’artisanat. Cela nous permet à la fois de lutter contre la crise climatique et de soutenir l’économie. Il faut voir la politique fiscale dans son ensemble, et pas seulement l’impôt payé par l’un ou par l’autre. Dans ce contexte, il est aussi très clair que nous ne souhaitons ni un impôt de succession en ligne directe ni un impôt sur la fortune. On estime qu’il faut augmenter la capacité financière des gens et non pas leur enlever tout.

Les inégalités sociales ne cessent de se creuser. L’offensive au niveau du logement et l’augmentation du pouvoir d’achat seront-elles suffisantes pour résoudre ce problème?

Il nous faut mener une politique sociale plus efficace. Le gouvernement actuel a distribué beaucoup d’argent à tout le monde, ce qui n’a pas aidé les gens concernés par des problèmes sociaux à les surmonter. Le CSV, qui plaide depuis toujours pour une politique sociale forte, estime que les mesures sociales doivent avoir pour cible principale les gens qui sont dans le besoin et non pas l’ensemble de la population, indépendamment des revenus.

Dans le domaine de la transition écologique et énergétique, le CSV plaide pour une politique plus pragmatique, qui n’est pas empreinte d’idéologie. Cette approche ne risque-t-elle pas de diluer l’important effort qui est à réaliser pour lutter contre le changement climatique?

Le climat est quelque chose de très important pour l’avenir de notre pays et de notre terre. Il est à noter que l’énergie a un impact considérable sur le bilan climatique. Beaucoup d’efforts ont été faits dans ce domaine, ce que nous saluons. Or il nous faut renforcer la production d’énergies renouvelables au Luxembourg, pour couvrir les besoins à la fois des ménages, des entreprises et de l’industrie. Nous sommes également ouverts quant aux nouvelles technologies qui peuvent encore être développées, comme l’hydrogène. Une révision des procédures visant à accélérer l’installation de centrales pour tout type d’énergie renouvelable est également essentielle, à côté des projets transfrontaliers, qui sont aussi nécessaires dans ce domaine.

Le CSV veut un autre modèle, plus décentralisé, dans le domaine des soins de santé. La multiplication de centres médicaux privés ne risque-t-elle pas de créer des dérives, comme le redoute notamment le LSAP?

Notre objectif est de réduire les temps d’attente pour un certain nombre d’examens médicaux. Notre deuxième objectif est de mieux répartir à l’intérieur du pays l’accès aux services médicaux. Ceux qui peuvent se le permettre financièrement passent la frontière pour réaliser des examens. Le service doit être adapté à la demande croissante à l’intérieur du pays. Offrir plus de services à l’extérieur des hôpitaux va justement renforcer la cohésion sociale, puisque chacun aura accès aux services de santé. C’est le contraire de la politique à deux vitesses qui est en train de s’installer aujourd’hui.

Il est reproché au CSV de vouloir mener une politique familiale dépassée en soutenant davantage les parents qui font le choix d’arrêter de travailler pour s’occuper de leurs enfants. Est-ce que ces critiques sont justifiées?

Le CSV plaide pour le libre choix des parents. Soit les enfants vont à la crèche, soit les parents, père ou mère, restent pendant quelques années à la maison. Nous estimons que l’État n’a pas à imposer un choix. Nous sommes favorables au développement continu des crèches et maisons relais, tant en termes de qualité que de quantité. Mais nous estimons aussi que lorsqu’un des parents souhaite rester à la maison, la famille doit bénéficier d’un soutien financier, puisqu’elle ne profite pas des structures d’accueil financées par l’État.

Tout en assurant que le parent qui décide de rester à la maison ne sera pas désavantagé en termes de sécurité sociale?

Absolument. L’extension des mesures sociales lors de cette période nous semble essentielle. Il s’agit de toute façon d’une courte période, puisque cela concerne les parents d’enfants en bas âge, qui ne vont pas encore à l’école.

Votre programme, qui compte en tout dix priorités, doit permettre au CSV de revenir au pouvoir. Quel est l’objectif chiffré que vous vous fixez pour les élections?

Je plaide en tant que tête de liste pour qu’il n’y ait pas simplement des slogans qui soient propagés, mais des mesures concrètes pour chacun des grands problèmes. C’est avec cela que nous comptons convaincre les électeurs. Notre objectif est double. Le premier est d’être au soir des élections le plus grand parti en termes de sièges à la Chambre. Il est très clair que seul un CSV fort permettra de briser la majorité de la coalition tricolore sortante et de former une autre coalition gouvernementale, idéalement à deux partis, puisque cela créera plus de stabilité.

Une coalition à trois partis avec le concours du CSV mènerait donc à la même politique incohérente que vous reprochez au gouvernement sortant?

Il reviendra à l’électeur de donner un signal clair, mais il est évident – aussi en observant ce qui se passe à l’étranger – que plus il y a de partis dans un gouvernement, plus il est difficile de faire une politique cohérente. Il faudrait dégager énormément de compromis pour avancer. C’est la raison pour laquelle une coalition à deux est plus cohérente, mais en démocratie, c’est l’électeur qui décide. Les partis devront, quant à eux, interpréter le vote.



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