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La loi sur le cannabis laisse un goût d’inachevé


Mise en place en juillet 2023, la nouvelle loi luxembourgeoise encadrant la production et l’usage du cannabis laisse un sentiment mitigé aux amateurs que nous avons interrogés.

Les consommateurs de cannabis résidant au Luxembourg pensent-ils encore que «l’herbe est plus verte ailleurs» ? Huit mois après l’entrée en vigueur de la loi autorisant la culture du cannabis et la consommation de la récolte chez soi, les personnes que nous avons croisées dans les boutiques de CBD (la substance chimique d’origine végétale issue du cannabis sans les effets psychotropes) du pays sont plutôt insatisfaits.

Certes, tous reconnaissent que cette régulation du cannabis récréatif est une avancée incontestable. «Ma femme et moi fumons et avec ces quatre plants autorisés par foyer, c’est assez. On fait nos propres cookies avec les restes», détaille Muno Marques, 49 ans, gérant-associé d’une boutique, Sativa Box Shop, à Esch-sur-Alzette.

Muno Marques gère une boutique de CBD à Esch-sur-Alzette. Il se montre très critique vis-à-vis de la loi sur le cannabis. (photo DR)

Il est l’un de nos rares interlocuteurs à accepter de témoigner à visage découvert. «Les gens jugent encore beaucoup, je n’en parle jamais avec mes collègues de travail par exemple», s’exclame ainsi un client d’une trentaine d’années. Il arrive même que les clients demandent à ne pas être vus depuis la rue, précise un vendeur chez Cannathèque, une boutique de la capitale.

Un anonymat que Muno Marques ne comprend pas, d’autant que la loi a eu des conséquences positives inattendues sur sa vie : «Maintenant, mon ex-femme ne peut plus me disputer la garde de notre fils, en tant que consommateur de cannabis, j’ai gagné au tribunal», annonce-t-il, l’œil goguenard, lui qui cultivait son propre cannabis bien avant que la loi ne soit votée et qui a d’ailleurs eu des démêlés avec la justice.

Des exclus de la loi

Dans sa boutique, il vend des accessoires pour fumer, du CBD sous plusieurs formes et tout le nécessaire pour la culture du cannabis, semences comprises, qui vont d’une quinzaine à une centaine d’euros.

Il est possible d’acheter des semences de cannabis à partir d’une quinzaine d’euros.

A-t-il aussi des frontaliers dans sa clientèle ? «Énormément. Ils achètent des graines de cannabis qu’ils n’ont pas le droit de faire germer dans leur pays», sourit-il. «La première question qu’ils me posent, c’est « où peut-on acheter du THC ? ». Ça me fait rire et je leur explique la loi.»

Eh oui, contrairement à ce que beaucoup pensent en entrant dans sa boutique, ni résine ni herbe contenant du THC (le tétrahydrocannabinol, la substance euphorisante du cannabis) ne sont mises en vente.

«Chaque semaine, poursuit-il, au moins 15-20 personnes me demandent quand est-ce qu’on va enfin avoir accès au THC comme promis par l’État.» Pour lui – comme pour les clients que nous avons rencontrés –, la loi n’est pas allée assez loin, notamment pour faire disparaître le marché noir – l’un des objectifs pourtant visés. «Le nouveau gouvernement a tout mis à l’arrêt. Le message qu’il a envoyé, c’est soit vous cultivez, soit vous allez acheter sous le manteau.»

Une nouvelle taxe sur le CBD

«Il faut bien se rendre compte qu’il y a des gens qui n’ont pas de place chez eux ou tout simplement pas la main verte», poursuit-il. Ceux-là vont encore se fournir sur le marché noir.

«La plupart de mes clients ont plus de 40 ans», continue Muno Marques dont le ton est devenu tranchant. «Ils se retrouvent à devoir se fournir dans la rue, sans savoir ce qu’ils achètent vraiment. Et ils risquent une amende salée. Est-ce que c’est juste par rapport aux autres ?», s’emporte-t-il.

Une colère qu’il justifie aussi en montrant la vitrine dans laquelle sont rangés les produits à base de CBD, désormais taxés à hauteur de 50 %. Les temps sont durs pour les boutiques de cannabidiol, plusieurs d’entre elles ont fermé. «Je perds de l’argent tous les jours avec les nouvelles taxes et avec les lois qui n’avancent pas. Je préfère payer 50 taxes et vendre du THC. Les gens feront la queue dès 8 h du matin», explose-t-il. «L’État avait promis 14 points de vente de THC, le peuple a voté pour la légalisation, mais avec l’arrivée du nouveau gouvernement tout a été stoppé», résume-t-il furieux.

Interrogée, la nouvelle ministre de la Santé, Martine Deprez, a déclaré sur RTL ne pas être opposée au sujet. Elle attend de tirer les conclusions d’un premier bilan, mais aussi de voir comment évolue la législation dans les pays voisins. L’«ailleurs» où l’herbe est plus verte ?

Le témoignage de Paolo*, 27 ans

Vous avez des plants de cannabis à votre domicile ?

Paolo : Oui, j’en ai fait l’acquisition après la loi. Ça pousse bien, je devrais atteindre quatre récoltes par an. J’ai regardé des vidéos sur YouTube pour savoir comment faire, c’est un peu comme la culture des tomates, il faut s’en occuper tous les jours, ça devient une habitude.

Votre consommation est-elle régulière ?

Je fume quotidiennement, le soir, après le travail. Je vis avec ma copine, qui elle ne fume pas, mais ça ne lui pose pas de problème.

Que pensez-vous de la loi ?

C’est bien que la loi ait été votée. Je fume depuis 15 ans et maintenant, je n’ai plus rien à voir avec le marché noir, je n’en ai plus besoin. Mais avec cette loi, on n’est pas toujours sûr de ce qu’il faut faire ou pas, je ne la trouve pas assez détaillée.

Par exemple, si on ne fume pas tout, que fait-on du surplus de récolte, est-ce que j’ai le droit d’en avoir un kilo ? (Il sourit). Et puis, elle n’est pas faite pour ceux qui ne fument occasionnellement. Ils ne vont pas commencer à cultiver leurs plants, surtout qu’il faut avoir la main verte, de la place chez soi et c’est un investissement au départ, même si ça revient quand même moins cher que d’acheter illégalement.

* Le prénom a été changé.

Que dit la loi ?

Selon le dernier rapport Relis sur les drogues de 2022, le cannabis est la drogue la plus consommée au Luxembourg.  Pour lutter contre le marché illicite et les dangers psychiques et physiques liés, la coalition au pouvoir de 2018 à 2023 s’était engagée à dépénaliser, voire légaliser la production et la possession de cannabis.

Depuis le 21 juillet 2023, les résidents majeurs ont le droit de faire pousser quatre plants de cannabis – qui ne doivent pas être visibles depuis l’espace public – et à en consommer la récolte pour un usage récréatif. Ils n’ont pas le droit de détenir plus de trois grammes de cannabis à l’extérieur de chez eux.

Cette loi, qui n’était que la première des trois étapes pour tenter de proscrire le marché noir et sécuriser les consommateurs, avant la mise en place de boutiques sécurisées autorisées à vendre du cannabis avec THC. Ces ouvertures n’ont pas eu le temps de voir le jour, regrette l’ex-ministre de la Justice Sam Tanson, jointe par téléphone.

«C’est dommage que l’on n’ait pas eu le temps d’aller au bout, quand on voit l’évolution en Allemagne (NDLR : à partir du 1ᵉʳ avril, il sera possible pour les résidents majeurs d’acheter 25 g de cannabis par jour maximum, par le biais d’associations à but non lucratif. Il sera également possible de cultiver jusqu’à trois plants). On considérait que c’était important que les consommateurs bénéficient du plus de sécurité possible. Seule une petite partie peut passer par la culture des plants», reconnaît-elle.



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