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[Gardiens de la nature] L’or bleu du Grand-Duché sous haute surveillance


L’eau du lac d’Esch-sur-Sûre est peut-être le bien le plus précieux du pays. La nouvelle station de traitement d’Eschdorf, à la pointe du progrès, permet d’augmenter la production d’eau potable, sans utiliser de chlore.

Il n’y a pas beaucoup de gestes plus simples que celui d’ouvrir le robinet, une facilité qui occulte la complexité que représente l’exploit de distribuer une eau potable d’excellente qualité à tous les foyers du pays. Le lac du barrage d’Esch-sur-Sûre est, en la matière, un acteur décisif pour pratiquement tout le Grand-Duché. «Nous fournissons en continu l’eau pour presque la moitié de la population, mais, en cas de besoin et avec nos partenaires, nous pouvons assurer l’approvisionnement de 90 % des habitants», avance Georges Kraus, ingénieur-directeur du Syndicat des eaux de barrage du lac d’Esch-sur-Sûre.

La loi validant le financement du barrage a été votée le 24 juin 1959 et le lac a été rempli pour la première fois en 1959, il peut contenir jusqu’à 60 millions de mètres cubes d’eau. À l’époque de sa construction, un de ses rôles les plus importants était aussi de fournir de l’électricité. «Avec 16 à 20 gigawatts/heure, il livrait près de la moitié des besoins du pays, relève le directeur. Aujourd’hui, cela représente moins de 1 %. »

Cette échelle illustre bien l’incroyable évolution des besoins, et ce qui vaut pour l’électricité vaut également pour l’eau potable. L’augmentation de la population (+25 % lors des 10 dernières années) a accru les quantités d’eau consommée au Luxembourg, et ce, même si la consommation moyenne par habitant a baissé. «Malgré tout, actuellement, les besoins augmentent en moyenne de 900 m3 par jour, ce qui est considérable», relève-t-il. Cette eau est consommée à 60 % par les ménages, à 23 % par l’industrie et à 8 % par l’agriculture (les 9 % restants correspondant aux fuites et à l’eau non facturée).

Cette demande croissante a nécessité la création de nouvelles infrastructures pour augmenter la capacité de production d’eau potable issue du lac de la Haute-Sûre. C’est ainsi qu’une station de traitement flambant neuve vient d’être construite à Eschdorf, à 4 kilomètres du lac. Inaugurée le 26 janvier dernier, il s’agit d’un investissement de 207 millions d’euros. Une facture qui, d’ailleurs, n’a pas excédé le devis.

«L’ancienne station avait une capacité nominale de 60 000 m3 par jour, mais nous pouvions monter jusqu’à 77 500 m3, explique Georges Kraus. Avec la nouvelle, nous pouvons traiter 110 000 m3 par jour, sans utiliser les forages qui puisent dans les nappes phréatiques pour alimenter notre réseau en cas de besoin à hauteur de 8 000 m3 par jour.»

Sécurité renforcée

La transition d’une station de traitement à l’autre a pu être réalisée sans que l’approvisionnement en eau soit coupé. «Ça a été un défi, mais nous nous étions bien préparés en responsabilisant l’ensemble du personnel, soutient le directeur. Pendant le transfert, nous avions gardé la possibilité d’utiliser l’ancienne station au cas où un problème serait apparu dans la nouvelle, mais nous n’en avons pas eu besoin. Elle a donc été totalement déconnectée du réseau le 14 juillet 2023.»

Mais avant d’être livrée loin d’Eschdorf, l’eau du lac doit d’abord monter à la nouvelle station située, faute de place suffisante en contrebas, à 4 km du barrage et 240 m plus haut. Elle accomplit ce trajet grâce à trois pompes depuis une station de refoulement où est également réalisée une préfiltration qui la nettoie des particules supérieures à 0,1 mm, comme les algues.

Carte d’identité

Nom : Georges Kraus

Âge : 54 ans

Fonction : ingénieur-directeur du Syndicat des eaux du barrage d’Esch-sur-Sûre (Sebes)

Profil : Après des études en génie chimique à Karlsruhe, puis Toulouse, Georges Kraus a travaillé en tant que chargé de développement chez Air Liquide (Paris). Il rejoint le Sebes en avril 2000 et en devient le directeur faisant fonction dès l’année suivante.

Elle suit alors un traitement des plus modernes qui lui permet une qualité irréprochable (meilleure que précédemment) sans avoir besoin de la chlorer. L’eau emprunte d’abord des filtres à membranes qui extraient physiquement les micropolluants. Ce procédé mis au point très récemment ne laisse rien passer de plus de 0,001 mm, il est donc infranchissable pour la plupart des virus et toutes les bactéries. L’eau transite ensuite par un filtre où elle est enrichie en calcaire pour affiner son pH soit, avant de subir une ozonification qui la libère des algues ainsi que des résidus de pesticides, de matière organique, de médicaments…).

Vient ensuite l’étape des filtres d’adsorption à charbon actif, qui éliminent notamment les fongicides employés pour la culture des céréales. L’eau passe enfin par une lampe à UV ultrapuissante qui brûlera même les plus petits des virus. «Tous les procédés possibles sont utilisés», assure Georges Kraus.

Les besoins en eau potable augmentent en moyenne de 900 m3 par jour

Tout le circuit de potabilisation de l’eau de la nouvelle station est doublé et chaque moitié peut fonctionner indépendamment de l’autre. «De cette façon, en cas de problème sur une partie, nous pouvons toujours alimenter l’intégralité de notre réseau, quitte à puiser dans les nappes», précise le directeur. En bout de ligne, l’eau potable est stockée dans deux bassins de 55 000 m3, eux-mêmes subdivisés en 4 cuves de 10 000 m3 et 2 cuves de 7 500 m3.

«L’eau est une ressource rare et précieuse, avance l’ingénieur-directeur de la Sebes. Il y en a beaucoup sur terre, mais très peu que l’on utilise comme eau potable. Ici, notre travail est de faire en sorte que les gens prennent leur douche et boivent leur café chaque matin sans avoir trop à y réfléchir. Mais en contrepartie, ce que nous demandons est qu’ils consomment cette eau de manière responsable.»

Le système est-il infaillible ?

La loi du 23 décembre 2022 sur la qualité des eaux destinées à la consommation humaine n’a pas changé grand-chose sur les valeurs que doit posséder l’eau du robinet, mais elle a imposé aux distributeurs d’anticiper les réponses en cas de problèmes. Black out électrique, pandémie, ruptures de conduite… toutes les procédures d’urgence existent désormais.

Des problèmes surviennent parfois, mais ils sont rares. Le 27 octobre 1986, des algues parvenues en masse dans le lac à la suite d’inondations ont bouché l’aspiration de l’eau. Il a fallu 32 heures pour remettre le pompage en état. Depuis, leur présence est constamment surveillée et un système permettant de pomper l’eau à différentes profondeurs autorise plus de souplesse.

Le 8 avril 1990, un tragique accident a vu un camion rempli d’acide monochloracétique (utilisé notamment pour la fabrication de médicaments) tomber et se vider dans une rivière à Martelange, dans le bassin versant du lac. Les filtres du Sebes ont vu arriver cette pollution trois mois plus tard.

Le 13 juin 2003, c’est la rupture d’une conduite en béton qui a mobilisé toutes les équipes pendant 30 heures. «Pendant ce temps, je n’ai pas dormi plus d’une heure, mais le plus important était que personne n’a manqué d’eau grâce à l’utilisation des réserves et au bon comportement de la population qui, mise au courant par les médias, a baissé sa consommation.»



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