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«Dany Cage» fait revivre l’«esprit hippie»


Jadis temple luxembourgeois du rock psychédélique, le Dany Cage voit son histoire déroulée sous la houlette du réalisateur François Baldassare, dans un nouveau documentaire.

Parlons d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître… Et avec lequel les moins de 50 ans ne sont pas plus familiers, à l’exception de quelques curieux. Établi au Grand-Duché depuis plus d’une douzaine d’années, le réalisateur et metteur en scène François Baldassare est de ceux-là. En témoigne son dernier film, le docu-fiction Dany Cage, histoire d’une émancipation, qui retrace l’histoire (brève) de la discothèque du même nom, haut lieu luxembourgeois de «l’esprit hippie», racontée par ses protagonistes.

Ouvert du printemps 1969 à l’été 1971, le Dany Cage trônait fièrement au 1c rue Beaumont à Luxembourg, à l’emplacement actuel de la boutique de vêtements M. Weydert. Durant cette période, les nouveautés musicales venues d’outre-Manche et d’Amérique rythmaient chacune des nuits alternatives de la capitale : Pink Floyd, Grateful Dead, Frank Zappa, Jimi Hendrix, Jefferson Airplane… jusqu’à ce que The End, titre mythique de The Doors, vienne sonner l’heure de la fermeture, au tout petit matin.

Pour François Baldassare, la découverte du Dany Cage s’est faite grâce à un heureux hasard : «En 2018 ou 2019, je suivais une formation à Montreuil. En rentrant au studio que je louais à Belleville, j’ai croisé une connaissance, le copain d’un copain, qui m’a proposé d’aller boire un verre à côté, où se jouait un concert.» Sur la petite scène, un vieux rockeur, longue chevelure blonde et lunettes fumées à la John Lennon. Après le concert, dans le bar de ce quartier «comme un petit village dans Paris, où tout le monde se connaît», les deux se présentent.

Le musicien, qui joue sous le nom de Dany Lo, s’appelle Danilo Gauny. «Quand il a su que j’habitais au Luxembourg, lui m’a répondu qu’il y était né, et m’a raconté son histoire», indissociable de la contre-culture des «late sixties» au Grand-Duché, grâce à la discothèque qu’il a fondée et à laquelle il donna son nom : Dany Cage. «Tout ce projet est parti d’une blague», s’amuse aujourd’hui François Baldassare, «comme lorsqu’on entend une histoire dingue et que l’on réagit en disant : « On pourrait en faire un film! ».»

«Ce n’était pas qu’un club»

Au fil du temps, le Dany Cage s’est fait oublier, quoique son existence fut récemment rappelée dans le documentaire d’Andy Bausch Sixty8 (2017) ainsi que dans l’ouvrage collectif dirigé par l’historien Michel Pauly Geschichte der Stadt Luxemburg in 99 Objekten, publié fin 2022 chez Capybarabooks. Le réalisateur se souvient : «On n’avait aucune archive, pas de photos, et on ne savait pas ce qu’on allait trouver sur le sujet. Il nous semblait donc juste d’aborder cette histoire sous le format du docu-fiction, afin de mieux illustrer le propos.» Par le biais de l’ASBL Canopée Produktion et sa présidente, Tessy Fritz, un appel à témoignages est lancé, à la recherche d’anciens clients, voisins ou, pourquoi pas, détracteurs de ce lieu venu bousculer, pour deux ans et demi seulement, le naturel propret de la vie culturelle luxembourgeoise.

Au-delà du récit de Dany Lo, les nombreux témoignages recueillis par l’ASBL Canopée ont été la source première de François Baldassare : une ancienne cliente du club dit y avoir rencontré le père de ses futurs enfants, d’autres se souviennent avoir habité rue Beaumont à l’époque du «Cage» et, pour ceux qui ne le fréquentaient pas, pointent son existence «polémique»…

«Ce n’était pas qu’un club : tout l’immeuble était habité» par une communauté qui s’était formée autour du lieu, indique le réalisateur : «On y trouvait beaucoup d’Américains, des étudiants, des musiciens, des déserteurs du Vietnam qui ont trouvé au Luxembourg un refuge provisoire, des hippies venus faire une halte sur la route des Indes…» Ainsi que de futurs illustres locaux, tels que Bob Krieps (ex-président du Film Fund et premier conseiller de gouvernement auprès du ministère de la Culture de 2010 à 2016) ou une toute jeune Lydie Polfer, à peine majeure, qui «y est allée peu de fois, mais qui a été marquée par le lieu», assure François Baldassare.

Pour Men Maas, légendaire DJ du Dany Cage, et le patron du club, Dany Lo, l’esprit hippie n’est pas mort!

«La plus grosse difficulté de ce film, poursuit-il, a été de se limiter à ses 73 minutes, alors qu’on entendait et découvrait au fur et à mesure du projet tellement de choses intéressantes.» Pour ce film, il a mené «38 heures d’interviews» auprès d’une vingtaine de personnes. Les plus marquantes étant, de toute évidence, celles des deux piliers du Dany Cage : Dany «himself», bardé d’un t-shirt affirmant «Rock’n’roll is not dead», et Men Maas, emblématique DJ résident qui garde, aujourd’hui encore, le «look» hippie d’un Jerry Rubin qui serait resté fidèle à ses premières revendications.

Dans un mélange d’amertume et de colère jamais vraiment ravalée, ils reviennent sur les dernières heures du club, entré dans le viseur de la justice depuis son inauguration en 1969, dans le cadre d’un plan d’action antidrogue. Il est vrai que, dans l’enceinte du «Cage», la fumée était verte et que les sonorités psychédéliques étaient associées – à juste titre – aux lettres L, S et D. Quoi qu’il s’y soit réellement passé, on retiendra le Dany Cage victime collatérale d’un combat institutionnel qui voulait museler la musique avant toute chose, et par tous les moyens.

Problèmes d’exploitation

À cinquante ans de distance, François Baldassare est allé fantasmer «son» Dany Cage – d’après les photos récupérées auprès de ses nombreux interlocuteurs – dans une autre discothèque emblématique du Grand-Duché, le Flying Dutchman, à Beaufort : «On a gracieusement mis à notre disposition le lieu, qu’on a décoré pendant toute une semaine pour le transformer. Quand Dany est arrivé dans cet endroit qu’il ne connaissait pas plus que moi, il a salué la ressemblance. Je crois que ça l’a ému.»

C’est dans un autre club historique du Luxembourg, le Flying Dutchman, à Beaufort, que François Baldassare a fait reconstituer le Dany Cage. Photos : marco pavone

François Baldassare reconnaît que l’ambition de son film est inversement proportionnelle à son petit budget. Canopée a certes reçu l’aide «Carte blanche» du Film Fund («à hauteur de 30 000 euros») et l’ASBL a même «cassé sa tirelire», le budget n’est, encore aujourd’hui, pas suffisant pour obtenir les droits des nombreuses chansons et des documents d’époque qui émaillent le film, ouvrant l’étrange épopée du Dany Cage aux «années hippies et au contexte international» plus vaste, avec Woodstock, la guerre du Vietnam…

Actuellement, l’ASBL Canopée a droit à «une exploitation non commerciale et pour une durée limitée», qui lui permet d’envoyer le film dans les festivals du monde entier, mais qui «empêche une sortie au cinéma et encore plus une diffusion télé». Mardi, une projection privée et gratuite, réservée à l’équipe du film, ainsi qu’aux participants et partenaires, est programmée à la Cinémathèque. À quelques pas, donc, du Dany Cage…

Mais, plutôt que ses problèmes d’exploitation, François Baldassare conclut sur son «seul vrai regret», ne pas avoir tourné de making of. «Depuis le tout début, Dany Cage, c’est l’histoire de rencontres qui se font ou se complètent à 50 ans de distance, même sentimentales. Si on avait fait un making of, il aurait été magnifique.»

Dany Cage, histoire d’une émancipation,
de François Baldassare.

Tout ce projet est parti d’une blague, comme lorsqu’on entend une histoire dingue et que l’on réagit en disant : « On pourrait en faire un film! »



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