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Cameroun : le chef Banka à l’Ouest bastonné et molesté par des inconnus

Dans une vidéo devenue virale sur les réseaux sociaux, en circulation depuis le 13 mai 2022, on voit des individus dans la pénombre ligoter un homme qu’ils mettent de force dans un véhicule. Cet homme n’est rien d’autre que Sa Majesté P. Arnauld Monkam Toukam, le chef supérieur de Banka, un groupement de premier degré dans l’arrondissement de Banka, département du Haut-Nkam, région de l’Ouest.

La rocambolesque scène se déroule à « Batcho » (Lycée technique de Batcho), situé dans ledit arrondissement. La raison de cette humiliation du chef est le préfixe « Ba » sur la plaque du Lycée de Batcho, qu’il a ordonné à l’un de ses deux notables qui l’accompagnait, notamment le nommé Nzemefu Tiedieu, d’aller effacer. Pendant que celui-ci exécutait l’acte, les villageois sont subitement sortis pour contester et ils ont fini par violenter physiquement le chef du groupement Banka et ses deux dignitaires. Ces jeunes accusaient le chef d’abus. Il s’agissait donc d’une histoire d’appellation querellée qui ne datait vraisemblablement pas de ce jour. C’est d’ailleurs ce qu’a confirmé le Chef Supérieur Banka, dans sa version des faits rendue publique le 14 mai 2022 : « J’étais sorti pour visiter la route dont on parle reliant quatre localités du Royaume à savoir Douven, Koye, Kovu, et Choudji […]. Sur le chemin, les deux dignitaires avaient sollicité un transit par Dacktcho pour me montrer la plaque. Ces deux dignitaires en question, comme d’autres, avaient déjà des antécédents avec le sous-chef Tcho. Sur place, nous avons constaté que la note du 08 octobre 2010, signée par le Roi Monkam Tientcheu David, n’était pas respectée. Le dignitaire Nzemefeu Tiedieu s’est dirigé vers la plaque pour effacer le prefixe « Ba », conformément à cette note du 08 octobre 2010. C’est suite à cela que certains malfaiteurs ont sévèrement brutalisé ce notable. Sur le choc, je suis sorti de la voiture pour intervenir. Ces derniers ont cassé le phare gauche de la voiture, ainsi que le capot. L’autre dignitaire, le nommé Nze Mouandeu, qui conduisait avait été brutalisé, mais ce dernier avait réussi à s’en fuir seul avec la voiture me laissant sur place. Je précise que la note du 08 octobre 2010 avait été signée, suite aux troubles orchestrés par le même sous-chef Tcho. Étant toujours sur place, je m’étais abrité sous une maison tout juste à côté. Ces malfaiteurs sont venus vers moi et ont tiré mes vêtements. Suite à cela, j’ai demandé à aller chez le sous-chef Tcho. Ces derniers m’ont conduit à son domicile. Grande a été ma surprise de l’entendre dire « enchainez le ». C’est suite à cela qu’on m’a renversé, ils m’ont décoiffé […]. Mes deux bras étaient enchaînés par derrière avec mes deux pieds. Le sous-chef Tcho a demandé qu’on me mette dans sa voiture pour le commissariat. » Ce qui est relaté dans ce passage est extrêmement grave, surtout qu’il s’agit d’une au- torité traditionnelle qui est chiffonnée, tabassée et enchaînée comme un chef bandit. Et, selon les dires du Roi des Banka, c’est le sous-chef de Tcho qui a ordonné les sévices corporels. Ce dernier rejette catégoriquement ces accusations : « Il était 20h, j’étais déjà allongé quand un groupe de jeunes m’annonce la présence du chef Banka dans la cour de la chefferie. Il déclare l’avoir trouvé au goudron en compagnie de deux personnes en train de noircir les plaques des écoles publiques ici à Batcho. Je suis aussitôt sorti d’ailleurs en babouches, je l’ai identifié et j’ai demandé que l’on ne le brutalise pas, le temps que je me chausse. Quand je reviens, je le trouve étendu à même le sol, j’entends des voix qui s’élèvent, des menaces verbales. Tout ce qui me revient en tête et spontanément à ce moment, c’est de le sortir de ce danger et le conduire en lieu sûr. Je me suis dit qu’en le conduisant à la chefferie Banka, il pourrait avoir des affrontements entre les deux parties. C’est pour cela que cette idée me vient bizarrement de le conduire vers les autorités puisque j’estimais que nous y serons en sécurité et pourrons discuter », a-t-il déclaré. Le Sous-Chef Nkakam, puisqu’il s’agit de lui, face aux autorités administratives, clame son innocence et ajoute : « Dans la confusion totale, j’ignore honnêtement à quel moment et qui aurait attaché ses mains tant les gens étaient nombreux et la luminosité n’était pas bonne. Contrairement à ce qu’il déclare, j’ignore qui a balancé ces vidéos dans les réseaux sociaux ». Le chef Batcho pointé du doigt ici a exprimé son regret en ce qui concerne l’acte de violence, ce qui pour lui est « sûrement un acte isolé » qu’on ne saurait coller à sa personne.
Toutes les autorités administratives ont condamné cette violence déshonorante sur une institution traditionnelle, notamment le Préfet du Haut-Nkam qui pense que ce crime de lèse-majesté ne restera pas impuni. Les autres chefs du Haut-Nkam en particulier et de l’Ouest en général, réunis en association, ont également condamné ces actes, mais les plus avertis savent que c’est une querelle qui ne date pas d’aujourd’hui.

Bafang ET Banka

Une querelle territoriale de longue date
Les questions de dénomination et de territorialité de la ville de Bafang constituent pour les populations du groupement Banka un problème. Un problème historique que la consti- tution administrative de Banka en 2007 n’a pas pu solutionner. Cet épisode n’est en réalité que la continuité d’un feuilleton qui a commencé longtemps avant le règne de Sa Majesté P. Arnauld Monkam Toukam, actuel Roi des Banka.
Selon certaines sources, il s’avère que le père de Sa Majesté P. Arnauld Monkam Toukam, le feu Roi David Monkam Tientcheu, a longtemps combattu cette forme de domination territoriale de Bafang dans la localité de Banka. Celui-ci voulait absolument voir le nom Banka figurer sur les plaques des institutions publiques et même privées situées sur son territoire. Le préfixe « Ba », que l’administration publique a adjoint aux noms de certains de ses quartiers et institutions publiques résonnait très mal dans la tête. Ainsi, le constat est encore frappant, car plusieurs institutions publiques, jusqu’à ce jour, situées sur le territoire Banka ont des dénominations qui se rapportent à Bafang. Par exemple : le Lycée technique de Bafang étant sur le territoire du royaume Banka aurait pu s’appeler « Lycée technique de Banka », il en est de même avec l’Enieg, l’Hôpital est dénommé aujourd’hui « Banka-Bafang », pourtant c’est à Banka, etc. Les Banka y voient là ce qu’on pourrait appeler une identité en déperdition. C’est pour cette raison que le Roi Monkam Tientcheu avait pris en octobre 2010, via un acte, d’interdire ces appellations, à la suite d’un trouble entre les deux parties. La création de l’arrondissement de Banka n’a pas jusqu’ici résolu le problème. L’actuel chef Banka, dans une logique de continuité, veut réaliser la volonté de son père, lorsqu’il va sur le terrain pour effacer le préfixe « Ba » sur la plaque, même si l’on peut lui reprocher de n’avoir pas insisté sur le moyen légal.

Chefferie Banka

A la recherche de sa pleine autonomie
Le combat des Banka n’est pas anodin, on est face à une chefferie en quête de sa pleine autonomie territoriale avec des institutions qui portent le nom « Banka ».
C’est cette volonté manifeste qui pourrait ex pliquer ces tensions, notamment sur la ré partition territoriale entre la Chefferie Supérieure Bafang et la Chefferie Supérieure Banka, d’un côté, et entre la Chefferie Supérieure Banka et certaines sous-chefferies, de l’autre. Pour Tchouamo Neossi, étudiant-chercheur en littérature et civilisation africaines à l’Université de Dschang, l’administration coloniale et l’administration actuelle sont à l’origine de ce conflit. Il rappelle que « le terme Ba signifie « les gens de… ». En le laissant dans la dénomination, on reconnaît im plicitement que c’est un peuple de Tcho, or la grande chefferie voulant imposer son veto renie ce vocable. C’est pourquoi on lit dans le communiqué le « sous-chef » et non le « chef », or le terme sous-chef n’existe pas dans la législation cheffale camerounaise ». Celui-ci pense qu’il est nécessaire aujourd’hui de travailler sur « la réorganisation de l’autorité traditionnelle au Cameroun, car les noms de « premier degré », « deuxième degré » et au tres dans le fond ne veulent rien dire. Un exemple simple : Banka est premier degré alors que Bafang est de deuxième, pourtant les deux chefs sont au-tonomes. Dans plusieurs villages du Haut-Nkam, c’est le chef Bafang qui procède à l’arrestation pourtant c’est le même degré ; Fonkouankem, Fodjomoko, Bapoutcheu Ngaleu, Bapoutcha, Ba- kondji, Babone et j’en passe». D’ailleurs, renchérit Ibrahim Mouiche : « Cette frustration est aggravée par le fait que Bafang, en tant que chef-lieu de département et d’arrondissement, monopoliserait le logo administratif, alors même qu’une bonne par- tie de la ville et certains sites administratifs (la sous-préfecture et la mairie rurale notamment) étaient situés dans le territoire du groupement Banka, du moins jusqu’à la création, en 2007, de l’arrondissement de Banka », écrit-il dans un arti- cle scientifique intitulé « Dénomination et territo- rialité urbaines : chefferies traditionnelles et question identitaire en pays bamiléké au Came- roun ».
Quoi qu’il en soit, les actes de violence exercés sur le Chef Supérieur sont condamnables, car la violence est essentiellement négative. Comme collectivités politiques antérieures au colonialisme, les chefferies traditionnelles sont une source d’iden tité, d’unité et de fierté pour de nombreux camerounais. La Chefferie Banka n’entend pas baisser les bras dans ce qui apparait comme une conquête de sa pleine autonomie. Le Roi des Banka vient de rendre public une « Décision portant suspension des activités traditionnelles à Daktcho (dit Ba tcho) ». C’est une affaire qui est loin d’être terminée.

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