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Cameroun – Escroquerie : Voici comment trois colonels se battent pour 30 millions

Les officiers supérieurs avaient envisagé de s’associer pour créer une entreprise destinée à l’exploitation d’une carrière de sable. Le promoteur de l’entreprise a reçu la contribution financière de ses deux camarades d’arme pour le projet, mais a empoché cet argent. Il a été jugé coupable des infractions mises à sa charge.

Ce n’est pas courant de voir des officiers supérieurs de l’armée dans les affaires, du moins au grand jour. Deux d’entre eux ont pourtant tenté l’expérience au soir de leurs carrières professionnelles sous les drapeaux. Hélas, mal leur en a pris au point où ils se mordent les doigts à ce jour. Leur rêve commun de participer à une affaire qui pourrait leur permettre d’arrondir leurs fins de mois ou, mieux, de s’enrichir réellement, a viré au cauchemar. Et leur bourreau n’est personne d’autre qu’un de leur camarade d’armes, lui-aussi colonel de l’armée. Au point où les trois colonels en sont venus à se livrer bataille depuis deux ans devant les prétoires. Une affaire rocambolesque.

C’est en fait l’histoire des colonels Jonas Hiehies et Jérémie Ndjeheya, tous les deux magistrats-militaires et aujourd’hui à la retraite. Ils s’opposent depuis 2019 au colonel Jean Mahi, encore en activité comme commandant de l’École de la logistique de l’armée, mais qui occupe aussi les fonctions de directeur de la Société maritime d’Ingénierie et de Services (SMIS), une entreprise privée ayant son siège dans la ville d’Edéa. Les deux premiers colonels cités avaient mobilisé en tout 30 millions de francs qu’ils avaient confiés à leur « ami » pour le développement d’une entreprise commune. Leur argent a disparu des caisses de l’entreprise sans laisser de trace. Malgré une décision de justice condamnant celui qui est finalement devenu leur adversaire, ce dernier refuse de s’exécuter.

Il faut remonter à l’année 2012 pour comprendre le problème qui oppose les trois officiers supérieurs. Cette année-là, le colonel Mahi, qui est déjà engagé dans le monde des affaires, convainc ses deux aînés de s’associer à lui dans le développement d’une activité lucrative, notamment un projet de création d’une carrière de sable à Pongo Pitti, localité de l’arrondissement de Dizangué dans la Sanaga Maritime. Se sachant bientôt à la porte de la retraite et soucieux de trouver une voie de reconversion, Jonas Hiehies et Jérémie Ndjeheya n’hésitent pas à mordre à l’appât. C’est une bonne perche que leur tend une vieille connaissance, croient-ils. Une énorme erreur au vu de la suite des choses…

Virements bancaires

Chacun des officiers supérieurs doit en fait contribuer à hauteur de 15 millions de francs pour la mise en œuvre du projet dont le colonel Mahi est la tête de proue. Alléchés par l’idée d’avoir rapidement une source financière, M. Hiehies et M. Ndjeheya vont rapidement mettre à la disposition de leur ami commun la somme totale de 30 millions de francs par virements bancaires dont le premier est effectué le 31 août 2012. Sauf que le projet ne va jamais voir le jour. Après deux années à attendre calmement de voir que l’investissement projeté se concrétise, les deux magistrats-militaires se décident en 2014 de se faire rembourser leurs avoirs. En réponse à la lettre qu’il reçoit de ses amis, le colonel Mahi va leur faire part des difficultés qu’il dit rencontrer dans la mise en œuvre du projet.

Dans une correspondance du 10 octobre 2014 consultée par Kalara, le patron de la société SMIS explique qu’il avait misé sur une équipe de 5 associés pour un apport de 15 millions de francs chacun, de façon à collecter au total 75 millions de francs pour réaliser l’investissement projeté. Il dit n’avoir finalement récolté que 45 millions de francs, c’est-à-dire les contributions des deux autres colonels et la sienne. Il liste des « dépenses effectuées » avec cette cagnotte pour une sortie globale de 38,35 millions de francs, « soit 20 millions pour les frais de dossier, 16 millions pour les constructions qui sont inachevées, 500 mille pour la fabrication de deux pirogues (avec lesquelles on devait commencer directement la production du sable), un million pour la descente de la commission préfectorale », etc. Il précise avoir engagé le reste des fonds « pour d’autres projets de l’entreprise, espérant ainsi multiplier les chances de financement du projet de sable ».

Tout en estimant à 97 millions de francs le volume des créances que son entreprise détiendrait sur certains de ses partenaires pas forcément de bonne foi, il dit continuer de croire au projet du sable. « Le promoteur reste optimiste et ne voudrait en aucun cas qu’une affaire amicale et fraternelle ne devienne la pomme de discorde entre de vieux frères et amis », écrit-il, avant de proposer une nouvelle mobilisation des associés pour l’aboutissement du projet. « Mais si vous tenez à vous désengager de l’affaire comme enjoint dans votre lettre ci-jointe, nous trouverons une solution avec le recouvrement en cours, pour vous rembourser en priorité ». Un remboursement qui sera attendu en vain, jusqu’en 2019, malgré une mise en demeure formelle datée du 14 décembre 2017.

Le 27 août 2019, les colonels Jonas Hiehies et Jérémie Ndjeheya engagent finalement une procédure judiciaire contre leur « ami et frère ». Par l’entremise de leur avocat, ils déposent une plainte avec constitution de partie civile devant les tribunaux de première et grande instance de la Sanaga Maritime à Edéa pour abus de confiance. Une enquête judiciaire est ouverte au bout de laquelle le colonel Mahi est renvoyé en jugement par ordonnance de renvoi du 27 avril 2020 devant le tribunal de première instance d’Edéa pour escroquerie (article 318 alinéa 1c), après requalification des faits. Le procès va tourner à l’avantage des plaignants, tant la version des faits donnée par le promoteur de SMIS Sarl est truffées d’inexactitudes mises en évidence lors d’une descente du tribunal aussi bien au greffe du TPI d’Edéa qu’à l’agence Bicec de Kribi, la banque de l’entreprise, pour vérifier certaines informations.

Descente sur le terrain

Il ressort de cette mesure d’instruction du tribunal que, contrairement aux déclarations de M. Mahi laissant entendre qu’une bonne partie des fonds reçus de ses partenaires avaient aidé au montage de la société (dossier) aux visites des autorités, SMIS Sarl avait été mise sur pied depuis 2007. Les activités présentées comme ayant été menées après l’entrée en jeu des deux autres colonels, donc avec leurs contributions financières, avaient été réalisées avant leur rencontre avec M. Mahi en août 2012. Il en est ainsi de la descente du préfet de la Sanaga Maritime sur le site de la carrière (8 novembre 2011), celle du délégué départemental des Mines et du Développement technologique (7 janvier 2012). L’autorisation préfectorale accordée à la SMIS Sarl pour l’exploitation de la carrière de sable date du 21 mars 2012.

Le détour du tribunal à la Bicec lui a permis non seulement de constater que le colonel Mahi n’avait jamais versé sa contribution de 15 millions de francs pour participer à l’investissement, contrairement à ses déclarations, mais il procédait rapidement au retrait en espèces sonnantes et trébuchantes des sommes virées dans le compte de l’entreprise par les deux autres colonels. Pour Me Jean-Claude Midelel, avocat des plaignants, « M. Mahi n’a jamais été dans la perspective de rembourser les parties civiles (plaignants) et son attitude prouve à suffire qu’il n’a jamais été, ni dans l’intention de mettre en forme l’entreprise projetée pour laquelle il a reçu les 30 millions de francs, mais encore moins de s’inscrire dans un processus de remboursement qui aurait montré sa bonne foi ». L’avocat demande que M. Mahi soit sanctionné.

Ce sont des constats qui vont peser lourd au moment où le tribunal juge de la culpabilité de M. Mahi. Il est déclaré coupable d’escroquerie le 26 avril 2021 et condamné à un an de prison avec sursis pendant trois ans. Le tribunal alloue par ailleurs à ses adversaires la somme de 40 millions de francs au titre de dommage-intérêts. Dans le détail, le préjudice matériel est estimé à 15 millions de francs pour chacun des plaignants, le préjudice financier à 3 millions de francs et le préjudice moral à 2 millions de francs. Les colonels Jonas Hiehies et Jérémie Ndjeheya avaient sollicité 30 millions à titre de préjudice moral. Les frais de justice sont mis à la charge du colonel Mahi, qui décide de relever appel de ce jugement. La suite de l’affaire reste attendue.

source:https://www.camerounweb.com/CameroonHomePage/NewsArchive/Cameroun-Escroquerie-trois-colonels-se-battent-pour-30-millions-613111

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