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Détenu arbitrairement pendant 17 ans, Thierry Atangana raconte son enfer sous Paul Biya


• Lui, c’est Thierry Atangana

• Il est ingénieur financier franco-camerounais

• Il raconte son enfer sous Paul Biya

Michel Thierry Atangana est un ingénieur financier franco-camerounais. Il a été emprisonné durant 17 ans, dont cinq à l’isolement, au Cameroun.

Un 12 mai 1997, son destin a basculé. Il est interpellé par des éléments des forces spéciales camerounaises, accusé de soutenir un opposant au gouvernement, Titus Edzoa.

Il a été arrêté et l’ensemble de ses biens ont été saisis. Dans une interview dans les colonnes de Jeune Afrique, il indique comment son destin a basculé et comment il a vécu l’enfer.

Aujourd’hui, le statut de prisonnier d’opinion lui a été reconnu par Amnesty International.

« Le jour où je suis entré en enfer » Michel Thierry Atangana

Détenu de manière arbitraire au Cameroun pendant dix-sept ans, cet ingénieur financier franco-camerounais raconte comment, un certain 12 mai 1997, son destin a basculé.

« C’était était un lundi. Le 12 mai 1997. Je venais de quitter la basilique de Mvolyé, à la sortie sud de Yaoundé, où j’avais assisté à la messe de 6 heures en compagnie de mon épouse de l’époque. Nous étions à huit jours de la fête nationale. Plongée dans un semi-état d’urgence, la ville était en ébullition et les rues grouillaient d’hommes en armes venus en renfort des provinces. Pourtant, c’est l’esprit léger que je me dirigeais vers le nord de la ville.

À la tête d’un important consortium franco-camerounais chargé de la construction d’axes routiers, je faisais partie des personnalités invitées aux festivités : défilé à la tribune présidentielle le matin, réception au Palais de l’unité en soirée. Je m’en réjouissais à l’avance. J’ignorais alors que ce jour me marquerait à jamais au fer rouge.

Vers 7h 30, nous étions presque parvenus à destination lorsque les hurlements de sirènes se firent de plus en plus stridents. Au lieu-dit Carrefour-Bastos, notre véhicule fut subitement encerclé par une centaine de voitures et de motos des forces de l’ordre.

Des communications au talkie-walkie, inaudibles, fusaient de toutes parts. Mes sens étaient comme anesthésiés. J’entendis néanmoins une voix menaçante éructer : « Les mains en l’air ! » Avant l’annonce triomphale : « L’oiseau est dans la cage ! »

Quelques semaines plus tôt, des rumeurs faisant état d’une enquête me concernant m’étaient parvenues. Je n’y avais accordé aucune importance, ne voyant pas ce qui aurait pu les justifier. De plus, je n’avais pas reçu la moindre convocation de la police, encore moins de la justice. Je priai l’agent de laisser partir mon épouse. « Donnez-nous les armes ! Où sont les armes ? » vociféra-t-il.

Puis, tandis que ses collègues fouillaient ma voiture, il m’en extirpa et me jeta sans ménagement dans une Peugeot familiale banalisée. Six molosses armés jusqu’aux dents m’encadraient. Leurs talkies walkies braillaient dans une indescriptible cacophonie. Je compris à cet instant que toutes les forces de sécurité du pays, y compris la garde présidentielle, s’étaient lancées à mes trousses. À présent que j’étais dans leurs filets, ils ne semblaient pas savoir ce qu’il fallait faire de moi.

Alors, entre 7 h 45 et 11 h, toutes sirènes hurlantes, ils me firent faire le tour de la ville plusieurs fois. Des journalistes me demandent parfois si j’ai été molesté. Question saugrenue. Mes geôliers avaient le sentiment d’avoir réalisé la prise du siècle : un horrible gangster, doublé d’un dangereux terroriste.

Une nouvelle loi salutaire

Conduit dans les locaux de la police judiciaire, je découvris ce que l’on semblait me reprocher : atteinte à la sécurité intérieure, gangstérisme d’État, détournement de 150 milliards de FCFA… S’ouvrit alors une période de cinquante-deux jours de garde à vue rythmée par des navettes entre le réduit des grands bandits que j’occupais et le bureau du directeur de la sûreté pour des interrogatoires.

J’étais entré en enfer. La première nuit, je m’interdis de dormir de peur de ne pas me réveiller. Les douze premiers jours, je refusai de boire et de m’alimenter. Suivirent dix-neuf jours à la prison centrale. Jugé nuitamment et sans avocat le 4 octobre 1997, j’ai ensuite atterri dans un cachot de 7m² aux sous-sols du secrétariat d’État à la Défense, où je suis resté jusqu’à ma libération, en 2014.

Cette histoire a tué ma mère et paralysé ma sœur. Elle a aussi permis l’adoption, en France, le 22 décembre dernier, d’une loi accordant des réparations aux victimes françaises de détention arbitraire à l’étranger. J’ai au moins remporté une première victoire morale. »

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