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Célestin Djamen reçoit une puissante lettre

Le Camerounais Célestin Djamen a reçu une puissante lettre. Cette lettre s’inscrit dans le cadre de ses critiques contre Andre Marie Talla. Voici le contenu de la lettre envoyée à Djamen

Mon cher frère et compatriote,
Monsieur le Président,

Il n’existe que très peu d’occasions, où je prends ma plume avec une charge émotionnelle aussi exceptionnelle, et quand je le fais, j’ai la conviction forte d’inscrire ma démarche, dans le grand livre des testaments de l’histoire que la postérité retiendra de façon inévitable, parmi les pièces à conviction de son tribunal populaire.
Les peuples, les communautés, les groupes humains tout court, considérés selon des spécifications anthropologiques et sociales précises, n’ont jamais la même histoire ni le même vécu organisationnel et politique. Il y a dans la présentation, l’expression référentielle de chaque groupe, un trait important de son passé qui influence, façonne et conditionne, parfois dans l’absolu, son discours, son attitude, sa dévotion, ses alliances ainsi que ses prédispositions de toutes natures. Comprendre Vladimir Poutine, comprendre Israël, comprendre, les indiens d’Amérique, comprendre les Palestiniens, comprendre Mandela, et comprendre l’Afrique dans la guerre en Ukraine, est impossible sans ces éléments référentiels.
Mon cher frère,

J’ai cru entendre, et je veux croire qu’il s’est agi d’un écart involontaire voire d’une pure erreur, que tu traitais André Marie Talla d’ethno-fasciste, en te fondant sur des prononciations en forme de conseils et de rappel historique véridique, qu’il aurait fait devant un parterre de frères de village, réunis en convention rituelle aux Etats unis d’Amérique. Déjà, à propos d’ethno-fascisme, je ne pense pas que tu es en mesure de bien situer historiquement son irruption dans le langage de la guerre, entre les nations et à l’intérieur des nations. Ensuite je ne suis point certain, que tu connais bien l’extrapolation haineuse et barbare sur laquelle quelques esprits chagrins et tordus, se sont appuyés pour l’installer dans le contexte des années de braise au Cameroun, au même titre d’ailleurs que le concept de village électoral de l’inoubliable professeur de Droit Roger Gabriel Lep. Je te conseille donc, mais alors très fraternellement, la prudence, d’autant plus que tu ne portes pas, comme certains les stigmates des affres de cette étape tumultueuse de nos tribulations politiques contemporaines.
S’agissant précisément des propos d’André Marie Talla, il ne me semble pas que la violente et précipitée lecture que tu en fais, cadre avec la personnalité de cette icône très respectée, dont le parcours, la symbolique sociale et artistique de même que l’emprise culturelle, sont loin d’un extrémiste à fleur de peau auquel tu t’évertue à l’identifier. Il y a sans aucun doute, dans sa promotion et sa défense d’un terroir restreint, un rappel des multiples blessures, préjudices, discriminations et marginalisations dont personne d’honnête et de courageux dans notre pays, ne saurait ni nier, ni contester et encore moins banaliser la matérialité.

C’est à raison, et je prends la liberté de dire ici, qu’il échoit à chaque groupe humain la responsabilité d’assumer son passé, de construire son présent, de faire son deuil, d’immortaliser ses martyrs, de faire entendre sa voix et ses préoccupations, et enfin de s’imposer dans le contexte d’une compétition vivace voire d’une palabre permanente au sein d’un même ensemble national. C’est d’ailleurs dans cette logique qu’il ne faudrait pas seulement juger et condamner, mais d’avantage comprendre et apprécier, les sorties du citoyen versatile Guibai Gatama, courageux et intrépide fils du septentrion qui au-delà de tout, porte en public et au large, la pensée, les projections, les attentes et les ambitions de l’élite de son terroir.

Je ne t’ai pas entendu élever la voix contre des propos gravissimes proches d’un appel à la guerre civile tenus récemment par quelques fils et filles SAWAS sur l’affaire du terrain du projet d’un Hôtel à Douala, ni à propos d’une certaine agitation des EKANGS. L’ethno-fascisme dans ton univers serait-il réduit à une victimisation inconsciente de la terre de ton nombril ?
Tu ne tueras point le génie du mal, en faisant taire les victimes, et tu ne construiras rien de solide, sans un inventaire réel et effectif des préjudices, des souffrances, des vexations et des sacrifices des uns et des autres. Les faits historiques sont têtus, et les actes, les constats et les sacres politiques sont difficiles à cacher. As-tu lu les écrits du Colonel Lamberton ? Et si tu les as lus, les as-tu bien compris et intégré dans ton éducation politique, puis considéré dans le jugement brutal fait sur les propos de AMT ? Veux-tu faire l’inventaire des hauts cadres de l’appareil de l’Etat, et y dénicher, comme une aiguille dans un panier de maïs pourri, ceux dont parlent le brave artiste originaire des montagnes devenu patrimoine culturel national à l’instar des regrettés Manu Dibango, Anne Marie Nzié et autres Francis Bebey? Tu seras vite contrarié et tu ne manqueras pas de te poser des questions sur ton appartenance effective à la cité nationale.

Je parle, en m’assumant, en gardant ferme mon statut de haut représentant sans hésitation ni faiblesse, d’un terroir communautaire que je ne trahirai jamais, dont je me fais l’honneur de porter la voix, et dont je cristallise les blessures.

De ce magistral piédestal, je t’interpelle à propos de ce prétendu ethno-fascisme, si tant est que ton sentiment national est réel et fort. Je ne t’ai point entendu sur le drame d’ASSOK, bourgade non loin de la capitale, sur la route de Mfou, où depuis une année, des gens ont tout perdu, des usines, des plantations, des unités agropastorales, soit plusieurs milliards d’investissements, alors que leurs titres de propriété sont en règle. Es-tu au courant ? C’est toujours actuel, et rien n’est fait, pour des familles qui y ont vu leurs efforts de plusieurs décennies volés, ruinés, pillés, à cause de leur origine ethnique. Je ne t’ai pas entendu crier sur le sort des commerçants à Douala où tu réside pourtant, des battants et débrouillards malmenés, pressés et oppressés par le délégué régional du commerce qui en a fait ses vaches à lait, impunément. Je ne t’ai pas entendu sur les nombreuses annulations et les retraits abusifs des titres fonciers pourtant régulièrement obtenus. Et il semblerait que cela procède d’une politique décidée contre une fraction de l’ensemble national, celle dont parle AMT. On attend tes protestations et condamnations, surtout qu’à ASSOK, on trouve également parmi les victimes, des familles venues du NOSO, qui ont fui la terreur des ambazoniens. Elles ont encore tout perdu pour une deuxième fois, au point de considérer leurs anciens bourreaux comme des anges incompris, c’est-à-dire ces ambazoniens.

Les têtes coupées et exposées ont façonné une manière d’être, de voir et de faire pour des générations, et personne ne viendra soutenir le contraire. Le rappeler fait du bien, beaucoup de bien vraiment. Témoin de ces crimes comme écolier à NDOM en pays Bassa puis à Dschang en pays Bamiléké, je n’en garde pas qu’un souvenir amer, j’en fais une partie de ma chair meurtrie et de mon regard sur la méchanceté humaine autant que sur la souffrance de certains peuples, oui certaines communautés. Ne demande pas à AMT de se renier, ne lui interdis pas d’avoir une mémoire, de dire la vérité, de s’élever, de célébrer le travail et d’inculquer la fierté avec un sens complet de la prééminence à son groupe structurellement et congénitalement sanguin. C’est de bonne guerre, et sans que cela nuise à la vérité, ou contrarie le vivre ensemble pour lequel, nous nous efforçons de bâtir un consensus sur le meilleur cadre institutionnel, sur la meilleure forme de l’Etat. Une médiation permanente.

Ce que nous avons tous à faire pour notre pays en bien, sera fait si et seulement si, nous avons le courage de nous définir publiquement comme républicains, en même temps attachés à préserver et à défendre ce qui en terme de spécificité identitaire, correspond à notre histoire profonde, à ce qui fonde notre comportement de même que nos ambitions légitimes dans la société camerounaise.
Je l’ai dit et répété à certains de nos frères, hommes d’affaires et intellectuels venus en inquisiteurs, pour questionner ma posture publique et le sens de mon combat, de mes luttes. Il n’est point besoin de se cacher pour étaler ses opinions, et rien ne sortira des messes ethniques qui se limitent à des supputations familiales lâches, sans courage pour affronter les réactions des autres segments communautaires de la nation. S’il est incontestable que Paul Biya a favorisé explicitement ou implicitement l’émergence des dizaines de milliardaires Bamilékés, il est tout autant vrai que les Bamilékés ont été pratiquement balayés de l’administration publique et des grands corps de l’Etat, civils et sécuritaires. Juste revers de la médaille ou malédiction lambertonienne ? Dans tous les cas, le Cameroun est à construire et non à détruire, exactement comme le martèle le Chef de l’Etat, qui doit son avènement au sommet, à son intégrité, sa loyauté, sa fidélité et sa disponibilité pour servir. Peut-être que nous n’avions pas su jouer ou avions mal joué, dans un système à la pratique politique complexe, et de surcroît articulée sur des diversités inextricables à faire perdre la boussole aussi bien à Jésus Christ qu’à Allah.

Dans ces conditions, se positionner pour y voir clair, ou ambitionner d’intégrer plus favorablement le système et parvenir au sommet, ne passera pas pour le Bamiléké, les élites Bamilékés et les politiciens Bamilékés, par un soutien à la violence, ni par la promotion de la vengeance, ou pire par la trahison et le sacrifice des icônes du terroir des montagnes. Les stratégies pour un changement politique comme nous les avions conçues et conduit durant les années dites des braises, ne sont plus appropriées. En idéologue confirmé dorénavant pétri de pragmatisme, Djeukam Tchameni te renseignera mieux que quiconque.

Le pouvoir se négocie, même si un adage trompeur dit qu’il s’arrache. C’est un travail de longue haleine, et la pire des voies vers l’échec est celle d’un radicalisme hors sujet, sans ancrage sur les leviers de commandement, et sans compréhension intelligente des jeux, des enjeux et des acteurs directs et indirects. Ceux qui s’estiment les plus victimes de discriminations, de marginalisations ou d’exclusions, devraient être les premiers à donner la priorité à la promotion du dialogue, car rien ne fera basculer un système politique dans un sens ou dans un autre, si l’orientation des critiques, c’est d’installer une communauté au pouvoir avec l’esprit d’appropriation ou de vengeance. Voilà ce que j’ai dit à tout ce monde. Certains parmi les plus bêtement radicaux qui ne me saluaient même plus, commencent à comprendre, multiplient les appels, et se ruent à ma résidence, feignant d’avoir perdu leur téléphone et mes coordonnées avec pendant un temps. Il vaut mieux tard que jamais.

Je comprends bien, trop bien d’ailleurs, que le formatage hérité d’une histoire douloureuse, conduise certains à l’autoflagellation comme gage de pureté pour mieux être accepté, et amène d’autres à se taire face aux situations où des gens de leur terroir identitaire, sont brimés et oppressés comme à ASSOK. Mais, les limites vexantes se révèlent vite quand un symbole comme AMT, est vertement calomnié et traité en paria de l’ordonnancement sociopolitique, par simple recours à des notions abjectes et brutales, articulées sur des extrapolations langagières d’emprunt.

Tout cela dit, je tiens à te manifester mon admiration pour ta vivacité d’esprit, ton éloquence ainsi que ton sens aigue de la persuasion intellectuelle. Tes débats sont instructifs, riches et captivants, témoignage d’une maîtrise de nombreux sujets ainsi que d’une formation académique digne de félicitations. Même les dieux ont de temps à autre des défaillances, se trompent, et pourquoi pas toi et moi ? L’essentiel c’est de prendre conscience, de savoir tourner la page et d’avancer.

Fraternellement./.

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