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Archives : voici comment Paul Biya a échappé au coup d’Etat du 6 avril 1984

Le 6 avril 1984, deux ans après que le président Ahmadou Ahidjo lui ait légué le pouvoir, Paul Biya échappe à un coup d’État qui plongea le pays dans la psychose et la peur. Des morts, des blessés, des fuites et des arrestations ont été enregistrés. 38 ans après cet incident, la rédaction de camerounweb.com vous propose ce extrait du livre de l’ancien journaliste Henri Bandolo intitulé “La flamme et la fumée” parut aux Editions Sopecam à Yaoundé en 1985 qui retrace cet événement.

Vendredi 06 avril 1984. 3h00 du matin. Les habitants de la capitale sont brutalement réveillés par d’insolites grondements qui se confondent d’abord avec les coups de tonnerre ponctuant la fin de l’orage qui, dans la nuit, s’est abattu sur la ville. Puis, les échos se font plus précis, permettant de distinguer plus nettement des tirs d’artillerie, et d’autres, plus saccadés, à l’arme légère. Si on est quelque peu impressionné, on ne s’en émeut d’abord pas outre mesure. La capitale a souvent été le théâtre d’exercices nocturnes de maintien et de vigilance des troupes. A 3h20, la sirène d’alarme du Palais présidentiel se déclenche. On commence vraiment alors à s’inquiéter. Car, a-t-on besoin de déranger le président de la République dans son sommeil à pareille heure pour des exercices ? Le cauchemar s’installe dans les familles. Celles des personnes qui ont le téléphone à domicile s’appellent. « Que se passe-t-il » ? C’est la même réponse à tous les bouts du fil : « On ne sait pas ».

Le colonel Ousmanou Daouda, chef de l’Etat-major particulier du président de la République, sera souvent appelé par des amis angoissés. Une heure, puis deux heures après le début des coups de feu insolites, il répond encore : « Je ne sais pas ce qui se passe ». Et on peut s’étonner que le chef de l’Etat-major particulier du président de la République puisse ignorer des manœuvres de routine. Et être plus surpris encore que, ne sachant pas ce dont il s’agit, il se trouve encore à son domicile, lui qui, le premier, devrait être sorti pour comprendre la situation.

Le général de Gendarmerie Oumaroudjam Yaya, en homme rompu dans le renseignement — car il a été directeur de la sécurité présidentielle et directeur adjoint du Centre national de la documentation —, a pour sa part senti de quel côté le coup peut venir. Il appelle le colonel Saleh Ibrahim, commandant de la Garde républicaine, et lui demande de lui rendre compte de la situation. Celui-ci lui répond qu’« il pourrait s’agir d’une tentative de coup d’Etat » et demande au général de lui indiquer sa position. Le général Oumaroudjam lui déclare qu’il se trouve à son bureau, mais se met prudemment à l’abri : il a été bien inspiré, car, quelques minutes plus tard, un char se présente devant son bureau et le bombarde. Grâce à ce subterfuge le général Oumaroudjam sauve sa vie. Mais le commandant de la Garde républicaine s’est ainsi trahi.

Au colonel de Gendarmerie Akono Herman qui lui pose la même question : « Que se passe-t-il » ? Le commandant de la Garde républicaine dit qu’il est retenu prisonnier chez lui, encerclé par les rebelles. Il demande au colonel Akono de lui préciser sa position. Celui-ci lui fait savoir qu’il se trouve lui aussi à son bureau, à la délégation générale à la Gendarmerie. Mais soupçonneux, plutôt que de demeurer à son bureau, le colonel Akono s’installe dans sa voiture et met le moteur en marche. Il n’attendra pas longtemps : un char de la Garde républicaine arrive sur les lieux. Le colonel Akono a compris et prend ses jambes à son cou.

Un groupe s’attaque à la résidence du général Semengue, chef d’Etat-major des armées, et à celle du colonel Asso, commandant du Quartier général. Alors que sa résidence est soumise à un furieux bombardement depuis 3 heures du matin, avec un sang-froid inouï, le général Semengue ne bougera pas de sa chambre jusqu’à 8hOO. Les tirs en direction de sa résidence s’étant quelque peu calmés, il fait alors sortir sa famille par un trou de climatiseur qu’il emprunte lui-même à la suite de ses enfants. Il parvient en outre à leur faire franchir la barrière derrière une dépendance. Ils n’ont ensuite aucune difficulté à se faufiler parmi les curieux, déjà nombreux, attroupés autour de la résidence. Et c’est dans la malle arrière d’un véhicule conduit par l’épouse d’un autre officier voisin, Mme Matip, que le général va sortir du Quartier général, puis, de la ville, pour organiser la riposte. Et celle-ci ne partira pas de bien loin. Le mot de passe des putschistes est surpris. La petite troupe ainsi partie pour déverrouiller le Quartier général s’en servira pour infiltrer les lignes ennemies et libérer la pou-drière. Ayant pris munitions et armes lourdes, ces soldats peuvent alors affronter les chars, abattant ceux qu’ils trouvent dans les rues.

Mais plus loin, par petits groupes, les putschistes poursuivent leurs manœuvres. Deux chars défoncent le portail du centre de production de la Radiodiffusion nationale, aussitôt investie, au moment où doivent démarrer les premières émissions du matin. L’aéroport de Yaoundé est aussi occupé par des chars avec lesquels on entend ainsi empêcher tout débarquement de troupes, notamment celles qui pourraient venir par avions de Douala.
Les conjurés sont d’autre part parvenus à encercler le palais présidentiel, et deux chars ont fait leur entrée dans ses vastes jardins. Les soldats de la garde présidentielle, pris au dépourvu, se rendent dans un premier temps, et expriment la volonté de rallier les rangs des insurgés. Ceux-ci commettent l’erreur de les croire et l’imprudence de leur rendre leurs armes. A l’intérieur de la résidence présidentielle, le plus gradé, le capitaine Aïvo, réunit les éléments dont il dispose. Et avec une indifférence trompeuse, il leur demande s’il ne vaut pas mieux rallier les putschistes et assurer de l’intérieur du palais la réussite du coup d’Etat, compte tenu du rapport des forces, en faveur des insurgés. La plupart des gardes du corps du chef de l’Etat acquiescent à cette proposition.
Le capitaine Aïvo les fait aussitôt désarmer et neutraliser par la demi-douzaine d’hommes prêts, au contraire, à affronter les putschistes. Pendant plus d’une journée, la résidence présidentielle sera défendue par moins d’une douzaine de personnes utilisant des armes individuelles et faisant illusion avec d’autres plus puissantes, réglées sur automatique, capables de déclencher seules, ainsi, des balles, des explosifs et des missiles, couvrant par un feu nourri toutes les directions, selon un système de rotation et de synchronisation parfaitement mis au point. Le président de la République est conduit dans le bunker, un réduit lui-même surarmé, capable, semble-t-il, de soutenir un siège d’une semaine et qui constitue par ailleurs un abri anti-atomique.(…)

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